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Plafond de verre : une réalité de la fonction publique ?

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2nmHki8

Florent Fremigacci, Sébastien Roux, Dominique Meurs et Laurent Gobillon

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Alors que la fonction publique emploie très largement des femmes, il y a relativement peu d’analyses sur les inégalités de rémunérations entre les hommes et les femmes dans ce secteur. Ce point aveugle est en partie lié à l’idée que les règles institutionnelles de recrutement et de fixation des rémunérations dans la fonction publique ajoutées au rôle protecteur des syndicats laissent moins de place à des inégalités de genre. En particulier, dans le cas de la France, les salaires dans la fonction publique sont définis à partir de grilles indiciaires communes aux corps administratifs sur tout le territoire, ce qui limite les écarts entre les individus. Pour les titulaires, à corps, grade et échelon identiques, le salaire de base est par construction le même quelle que soit la personne qui occupe le poste. Pour les contractuels, il y a en théorie plus de latitude dans la fixation des rémunérations, mais en pratique elles sont le plus souvent fixées en référence à celles que percevrait un titulaire de qualification et d’expérience professionnelle équivalentes qui occuperait les mêmes fonctions. Même si la rémunération totale peut différer d’une personne à l’autre en fonction de la localisation géographique (au maximum la prime est de 3%), de primes attachées à la fonction occupée et du supplément familial de traitement, elle dépend fortement du salaire de base. Pourtant les écarts de salaire entre les hommes et les femmes sont loin d’être négligeables dans la fonction publique, même s’ils sont plus resserrés que dans le secteur privé. En 2013, le salaire net moyen (en équivalent temps complet) d’une femme dans la fonction publique est égal à 85% de celui des hommes (1), contre 81% dans le secteur privé (2). Compte tenu des règles rappelées ci-dessus, l’écart de rémunération constaté entre les hommes et les femmes ne peut principalement provenir que d’une raréfaction des femmes aux postes les plus élevés, autrement dit d’un « plafond de verre ».

Dans cet article, Florent Fremigacci, Laurent Gobillon, Dominique Meurs et Sébastien Roux estiment cette inégalité d’accès en appliquant une méthode (3) qui permet de mesurer les différences d’accès aux rangs les plus élevés selon le sexe. L’intuition à la base de cette approche est d’utiliser une échelle commune des positions hiérarchiques, fondée sur le classement des rémunérations. Le décalage relatif des positions des femmes par rapport aux hommes (c’est-à-dire le fait qu’elles soient plus nombreuses en bas de la distribution des salaires) est mesuré par une « fonction d’accès », définie comme le rapport des probabilités pour une femme et pour un homme d’occuper un poste de rang donné dans la hiérarchie des salaires, ces probabilités étant mesurées parmi les femmes et les hommes a priori intéressés par ce poste, c’est-à-dire occupant un poste de rang inférieur à celui considéré. Cette méthodologie a été appliquée aux données exhaustives issues du Système d’Information sur les Agents du Secteur Public (SIASP) pour 2010. Pour l’ensemble des fonctionnaires et assimilés, cette fonction est décroissante : pour une femme, la probabilité d’occuper un poste de rang médian est de 80% de celle d’un homme, et elle n’est plus que d’environ 30% aux rangs les plus élevés. Cela confirmerait donc l’existence d’un phénomène de type plafond de verre. Toutefois, les fonctions d’accès diffèrent largement selon le versant de la fonction publique, la catégorie hiérarchique, le stade de la carrière (reflété par l’âge) et la profession, tout ceci déterminant les règles et pratiques de déroulement de carrière et d’attribution de primes. Par exemple, pour des titulaires âgés de 40 à 45 ans, il n’y a pas de différence systématique entre les hommes et les femmes parmi les magistrats ou parmi les infirmiers et cadres de santé - voire il y a un avantage aux femmes dans la profession d’infirmier ; au contraire, dans d’autres professions (enseignants, adjoints administratifs) la fonction d’accès est continûment décroissante. Au-delà de ces gros plans sur des populations spécifiques, il ressort finalement que, malgré l’uniformité apparente du statut et des règles administratives, il existe une grande hétérogénéité dans la fonction publique concernant l’accès des femmes aux positions les mieux rémunérées et que ces différences dépendent notamment de la transparence des procédures de nomination à un poste donné.

(1) Référence complète Michel 2015
(2) Référence complète Chaput et al., 2015
(3) Méthode proposée par Gobillon et al. (2015) - réf. complète

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Titre original de l’article académique : Egalité professionnelle entre les hommes et les femmes : des plafonds de verre dans la fonction publique ?
Publié dans : Economie et Statistique, 2016, volume 488-489, p. 97-121
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