La science économique au service de la société

Comment organiser un vote par évaluations ?

Lien court permanent vers cette page : https://bit.ly/2TrWZs4

Antonin Macé

JPEG - 54.8 ko

Le mouvement récent des Gilets Jaunes a mis en lumière une crise de la représentation politique. Parmi les solutions proposées lors du Grand Débat National figurent des propositions pour davantage de démocratie directe (Référendum d’Initiative Citoyenne - RIC - notamment), mais aussi des propositions de refondation des mécanismes électoraux utilisés lors de la sélection de nos représentants. Ainsi, de nombreuses réunions publiques ont été consacrées au « Jugement Majoritaire », un mode de scrutin (proposé par les mathématiciens du CNRS Michel Balinski et Rida Laraki) permettant à chaque électeur d’évaluer tous les candidats, à l’aide de mentions, telles que « Très Bien » ou « Passable ».

Antonin Macé a étudié de tels modes de scrutin dans lesquels les électeurs évaluent chaque candidat. Introduire des bulletins de vote « par évaluations » démultiplie les possibilités d’expression des électeurs, mais soulève la question du décompte de ces bulletins qui peut se dérouler de multiples façons. Dans le Jugement Majoritaire, les candidats sont comparés par leur évaluation médiane (celle qui sépare l’électorat en deux parts égales), alors que dans la règle appelée « vote par notes », c’est la note moyenne des candidats qui permet de les départager. Dans le cadre de cette étude, l’objectif est de caractériser la méthode du vote par notes, c’est-à-dire d’identifier les propriétés qui lui sont propres et qui la démarquent des autres méthodes. Une telle approche, dite axiomatique, peut éclairer le choix de la méthode qu’il convient de retenir. Un premier résultat met en lumière la simplicité du décompte : pour un candidat, obtenir une évaluation légèrement supérieure a toujours le même effet, et ce dans toute situation. Cette propriété est seulement vérifiée par le vote par notes. Elle semble désirable car elle rend l’acte de vote aisément compréhensible pour chaque citoyen. Dans un second temps, l’auteur étudie un affaiblissement de la propriété de simplicité : une règle possède la propriété de séparabilité lorsque, pour départager deux candidats, il est possible d’ignorer les évaluations des électeurs indifférents entre ces deux candidats. Il est aisé de voir que cette propriété, pourtant très naturelle, est satisfaite par le vote par notes, mais pas par le Jugement Majoritaire. En outre, le vote par notes est-il la seule méthode à vérifier cette propriété ? L’article apporte une réponse positive lorsqu’il y a un grand nombre de notes (un continuum) et que celles-ci sont symétriques. En revanche, pour des raisons combinatoires (de mathématiques discrètes), ce résultat n’est plus vérifié en présence d’un petit nombre de notes : émergent alors des méthodes étranges, qui sont séparables, mais ne ressemblent pas au vote par notes.
Que retenir de cette étude ? Différentes méthodes de décompte des bulletins de vote par évaluations existent, et celle du vote par notes se distingue des autres par une propriété de simplicité. Cette conclusion ne clôt pour autant pas les débats sur ces modes de scrutin alternatifs, et les expérimentations effectuées par plusieurs chercheurs lors des élections présidentielles françaises depuis 2002 nous enseignent aussi que ces méthodes sont également appréciées des citoyens et promettent des résultats plus consensuels que les modes de scrutin actuellement en vigueur.

..................

Titre original de l’article : « Voting with evaluations : characterizations of evaluative voting and range voting. »

Publié dans : Journal of Mathematical Economics (2018), Vol. 79, pp. 10-17

Disponible à : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S030440681830096X