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Corruption, “contrats relationnels” et délégation : un modèle théorique

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Marta Troya Martinez et Liam Wren-Lewis

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Un large éventail d’activités économiques repose sur la mise en place de « contrats relationnels » informels qui ne s’appliquent pas automatiquement. Par exemple, une entreprise peut se fournir auprès d’une autre entreprise en sachant qu’elle ne pourra pas la poursuivre en justice si le produit est de qualité trop moyenne. A l’inverse, le fournisseur maintient la qualité de ses produits afin de fidéliser au maximum ses clients (1). La confiance et la répétition des interactions sont essentielles en vue de faire fonctionner ces contrats professionnels « relationnels ». La responsabilité de tels contrats est souvent déléguée à des intermédiaires : les entreprises les délèguent aux managers, les gouvernements aux fonctionnaires etc. Mais ces intermédiaires peuvent en retirer des avantages sous forme de chantage ou de bénéfices privés non monétaires ; pourtant, ces formes de corruption ne peuvent pas donner lieu à des poursuites légales mais elles sont soutenues par ces contrats relationnels. Si les intermédiaires sont corruptibles, comment et quand les « contrats relationnels » doivent-ils être délégués ?

Dans cet article, Marta Troya Martinez et Liam Wren-Lewis étudient cette question grâce à un modèle théorique dans lequel le contrat relationnel est géré par un superviseur pour le compte d’un agent dit principal. Ici, le principal souhaite que le superviseur passe un contrat relationnel avec l’agent pour stimuler sa performance. Une première observation est que les deux parties du contrat relationnel - la partie corrompue et la partie productive - interagissent fortement. Certaines interactions sont positives, car le flux hypothétique de dessous de tables permet au superviseur de promettre de façon crédible des récompenses plus élevées aux agents non corrompus (les motivant ainsi à accroître leurs efforts). Mais certaines interactions sont négatives, car le superviseur doit troquer le fait de stimuler les performances par celui de soutenir un chantage, alors que l’autonomie dans le travail est une contrainte obligatoire. La contribution des auteurs portent également sur l’analyse des coûts et des avantages de la délégation pour le principal. Ils constatent que, parce que le superviseur accorde moins d’importance que le principal aux paiements de l’agent, la délégation améliore la crédibilité. Cependant, un superviseur qui s’en soucie trop peu surpaye les pots-de-vins. Le principal doit alors faire face à un compromis lorsqu’il décide de la manière dont les avantages du superviseur doivent être alignés sur les siens.
Dans l’ensemble, la corruption rend la délégation coûteuse pour le principal, mais lorsque les contrats relationnels sont complexes, ce coût peut être plus que compensé par une plus grande crédibilité du superviseur. Les auteurs observent également que le lien entre la force de la relation et la production n’est pas simple. Ceci a de fortes implications pour les politiques visant à réduire la fraude ou la corruption dans les contextes où les contrats relationnels jouent un rôle central. De nombreuses politiques de ce type impliquent de perturber les contrats relationnels, par exemple en encourageant la concurrence ou en augmentant le turnover du personnel. Ces résultats suggèrent que, dans certaines circonstances, l’affaiblissement des relations superviseur-agent peut simultanément réduire la corruption et améliorer le résultat de la production. Dans d’autres circonstances, cependant, il y aura un compromis, et combattre la corruption ne peut se faire qu’au détriment de relations potentiellement productives.

(1) De même, un employeur peut promettre à un employé une prime en contrepartie de ses performances, mais si l’employeur manque à sa parole, il risque de faire face à une démission

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Titre original : “Delegating relational contracts to corruptible intermediarie”
Publié dans : PSE Working Paper n°2016-20
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01370408/

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