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Le taux d’intérêt libéré ?

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Jean-Pierre Danthine

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Un taux d’intérêt zéro a de tout temps été considéré comme la limite inférieure infranchissable par une banque centrale. Depuis 2014 cette limite a pourtant été outrepassée dans cinq zones monétaires – la zone euro, le Japon, le Danemark, la Suède et la Suisse. Les taux directeurs des banques centrales correspondantes sont passés en territoire négatif, avec un minimum de -0.75% dans le cas de la Banque Nationale Suisse (BNS). Qu’a-t-on appris de ces expériences ? Voit-on pointer à l’horizon le temps où les banques centrales pourront librement monter ou descendre leurs taux sans être encombrées par la contrainte de la « Zero Lower Bound – ZLB » ?

Dans cet article Jean-Pierre Danthine observe que la politique des taux négatifs se révèle être très impopulaire dans tous les pays où elle a été mise en œuvre. Cela rend les mesures radicales devant permettre aux banques centrales de s’affranchir définitivement de la contrainte du ZLB très difficiles à imaginer dans un contexte démocratique. Deux types de mesures ont été proposées dans la littérature. La première consiste tout simplement à abolir le papier-monnaie. La deuxième propose d’ introduire un taux de change variable entre la monnaie-papier et la monnaie électronique. En générant une dépréciation régulière de la valeur de la monnaie papier par rapport à la monnaie électronique il serait possible d’assurer une égalité entre le rendement sur les deux types de monnaie, y compris lorsque la monnaie électronique est assortie d’un intérêt négatif. Si ces évolutions radicales ne sont pas envisageables, il reste néanmoins une possibilité plus modeste de promouvoir des taux significativement plus bas que les taux négatifs observés actuellement : capitaliser sur la réticence des banques commerciales à transmettre les taux négatifs à leurs petits déposants. Cette réticence pourrait passer pour un défaut. Elle se révèle être une vertu, celle d’éliminer toute incitation pour la population à stocker du papier monnaie afin d’éviter les taux négatifs, puisqu’elle n’y est pas directement soumise. Il serait, dès lors, techniquement possible d’aller plus loin dans les taux négatifs du moment que la thésaurisation de papier-monnaie par les gros investisseurs qui, eux, sont soumis aux taux négatifs serait rendue non-rentable. A cette fin, la banque centrale devrait pouvoir imposer une redevance sur les prélèvements de papier-monnaie à ses guichets par les professionnels, c’est-à-dire, les institutions qui sont responsables du transport et de la redistribution des billets et pièces entre les principales banques du pays et leurs gros clients. Cette redevance devrait être modulable en fonction de la profondeur des taux négatifs de façon à rendre non-rentable la thésaurisation en masse de papier-monnaie (la redevance ne serait donc jamais prélevée). La banque centrale serait alors en position de baisser ses taux sans craindre les manœuvres de thésaurisation de billets. Bien sûr les taux négatifs sont une charge pour le système bancaire mais celle-ci peut être fortement diminuée en exemptant le gros des réserves bancaires des taux négatifs comme l’ont fait un certain nombre de banques centrales dont la BNS. L’expérience a montré qu’imposer les réserves à la marge seulement était suffisant pour que les taux négatifs soient transmis aux instruments de marché et jouent leur rôle de signal. Une construction telle que celle esquissée ici garantit une transmission asymétrique de l’impulsion monétaire. Les banques commerciales évitent de répercuter les taux négatifs tant du côté de leurs actifs que de leurs passifs. Cela signifie en particulier que les crédits bancaires ne bénéficient que très peu de la baisse supplémentaire de taux. Pour une petite économie ouverte intéressée à l’impact des taux d’intérêt sur son taux de change, le but est néanmoins atteint (via la transmission aux prix de marché). Pour une grande zone monétaire dépendante du crédit bancaire et à la recherche d’une stimulation macroéconomique classique cette asymétrie rend l’approche moins attractive.

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Titre original de l’article académique : “The Interest Rate Unbound ?”
Publié dans : Hutchins Working paper 19, 2016
Téléchargement : https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/07/WP19_Danthine-2.pdf

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