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Les taux négatifs : made for Switzerland

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Jean-Pierre Danthine

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La plus récente innovation en matière de politique monétaire, les taux d’intérêt négatifs, n’a pas bonne presse. Outre le sentiment de « répression financière » (1) qu’engendrent des taux négatifs, la question de leur efficacité est légitimement posée. Les réponses sont contrastées. Une partie de la littérature se focalise sur l’affaiblissement de la capacité de prêt du secteur bancaire pouvant découler de la charge d’intérêts qui en résulte. La problématique prend cependant un ton différent dans le cas d’une économie dotée d’une monnaie refuge comme l’économie suisse. De cette particularité résulte pour la Suisse la nécessité d’un différentiel d’intérêt négatif avec la zone euro. Les actifs libellés en francs fournissent une assurance contre les chocs négatifs de faible probabilité, puisque que le franc s’apprécie en situation de crise. Si aucun prix n’était attaché à cette police d’assurance – sous la forme d’un rendement inférieur en temps normaux à la norme prévalant pour des actifs équivalents en monnaies étrangères, les actifs suisses seraient des actifs dominants, ce qui ne peut constituer un équilibre.

Dans cet article, Jean-Pierre Danthine examine les conséquences de la caractéristique de monnaie refuge observant qu’elle rend la borne inférieure constituée par le taux d’intérêt zéro particulièrement contraignante. Il n’est pas surprenant dès lors que la Banque nationale suisse (BNS) ait été à l’avant-plan de l’innovation monétaire en matière de taux négatifs. L’objectif était clairement de restaurer un différentiel d’intérêt décourageant les entrées nettes de capitaux notamment en incitant les épargnants et les investisseurs résidents à investir hors du pays.
Ainsi que mentionné d’entrée, le recours à des taux négatifs est généralement controversé. Dans la situation spécifique de l’économie suisse cette aversion doit être combattue. Même si l’on arrive à un conclusion pessimiste quant au potentiel macroéconomique des taux négatifs dans une économie fermée (c’est-à-dire en faisant abstraction de leur impact sur les cours de changes), dès lors que les taux d’intérêt des grandes zones économiques sont proches de zéro (et a fortiori s’ils sont eux aussi négatifs), une petite économie ouverte dotée d’une monnaie refuge n’a pas d’alternative aux taux négatifs, sinon accepter un affaiblissement structurel et une perte de substance économique, qui élimineraient progressivement – mais à quel coût ! – le statut de monnaie refuge de sa devise.
Pour l’auteur, les perspectives de stagnation séculaire et de taux durablement bas rendent impérative une nouvelle appréciation de l’importance et de l’utilité des taux négatifs pour une économie comme celle de la Suisse. Si les taux bas sont appelés à perdurer, la marge de manœuvre de la Banque nationale doit être élargie. Cela serait possible si elle était autorisée à prélever une redevance sur les retraits anormaux de papier-monnaie par les gros opérateurs monétaires. Simultanément elle devrait maintenir ou augmenter les exemptions actuelles – aujourd’hui les taux négatifs ne sont appliqués que sur les dépôts des institutions financières auprès de la BNS dépassant 20 fois leurs réserves requises. Ces exemptions limitent fortement la charge des taux négatifs sur les institutions bancaires et leur permet de ne pas les répercuter sur les dépôts des particuliers. Il serait ainsi possible d’imposer des taux significativement plus bas qu’aujourd’hui et de restaurer un différentiel d’intérêt proche de la moyenne historique.

(1) Intervention d’un Etat dans la sphère bancaire au bénéfice du système financier ou de l’Etat en question.

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Titre original de l’article académique : Les taux négatifs : made for Switzerland
Publié dans : Monetary Economic Issues Today, Mélanges en l’honneur de Ernst Baltensperger, Orell Füssli Verlag AG, Zürich 2017
Téléchargement : https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/danthine-jean-pierre/taux-négatifs-made-for-switzerland.pdf
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