La science économique au service de la société

La malédiction du carbone dans les pays développés

Lien court : https://bit.ly/355bnhC

Mireille Chiroleu-Assouline*, Mouez Fodha*, Yassine Kirat

PNG - 1.4 Mo

Comment lutter contre le changement climatique ? L’efficacité des Accords de Paris est remise en cause par le retour des protectionnismes, amplifié par les crises économiques et sanitaires, ce qui éloigne davantage la perspective d’une tarification ambitieuse du carbone. À ces explications des échecs des politiques environnementales, M. Chiroleu-Assouline, M. Fodha et Y. Kirat ajoutent l’abondance en ressources naturelles, responsable d’une malédiction du carbone [1]. Les pays riches en ressources fossiles et minérales émettent plus de CO2 par unité de production que les pays où ces ressources sont rares. Les observations montrent que, parmi les dix pays ayant la plus forte intensité carbone (unités de CO2 émises par unité de production), six sont abondants en ressources naturelles.
Trois mécanismes spécifiques à la malédiction du carbone sont à l’œuvre. L’abondance en ressources entrainerait d’une part un effet de composition induit par la prédominance des secteurs des énergies fossiles dans l’économie, fortement émetteurs de CO2 ; d’autre part, cette abondance irait de pair avec des effets d’éviction dans les secteurs énergétiques, se traduisant par des barrières au développement des énergies renouvelables ; enfin elle induirait des effets d’entraînement des comportements polluants vers tous les secteurs de l’économie, combinés à des politiques environnementales laxistes et à certaines spécialisations. Ces effets constituent des freins au développement de nouveaux secteurs, à l’image de la malédiction des ressources [2].

Mireille Chiroleu-Assouline, Mouez Fodha et Yassine Kirat cherchent à tester la validité empirique de l’hypothèse de malédiction du carbone sur un échantillon couvrant 29 pays (OCDE et BRIC) et sept secteurs sur la période 1995-2009. Au niveau macroéconomique, ils constatent que la relation entre les émissions nationales de CO2 par unité de PIB et l’abondance en ressources naturelles n’est pas monotone, mais en forme de U. La malédiction n’apparaît qu’après un certain seuil du niveau d’abondance : au-delà du seuil, plus un pays est riche en ressources, plus il émettra du CO2 par unité de PIB. En revanche, avant ce seuil, un pays peut réduire son intensité CO2 après la découverte de gisements. En effet, un pays pauvre en ressources n’est pas soumis à la malédiction du carbone, les obstacles aux énergies renouvelables sont donc faibles, la politique environnementale rigoureuse et le niveau technologique suffisamment avancé. Ainsi, toute découverte modifiera le mix énergétique au bénéfice des énergies les moins polluantes (gaz en substitution de charbon, par exemple).

Les auteurs mesurent ensuite l’impact de l’abondance des ressources sur les émissions sectorielles. Ils montrent qu’un pays riche en ressources naturelles pollue relativement plus dans les secteurs liés aux ressources, ainsi que dans tous les autres secteurs. Dans le secteur minier par exemple, les pays les plus riches en ressources ont les intensités de CO2 les plus élevées, ce qui est cohérent. Mais l’analyse du secteur des services montre que ces mêmes pays riches y sont toujours les plus intensifs, et de loin, comparés aux pays pauvres en ressources. Ces caractéristiques d’intensité de pollution se diffusent donc dans tous les secteurs de l’économie. Ces résultats suggèrent que les discussions internationales portant sur la lutte contre le changement climatique devraient se concentrer davantage sur la distinction entre les pays riches et pauvres en ressources plutôt que sur l’opposition classique entre pays développés et en développement.

....................

(1) D’après Friedrichs, J. and Inderwildi, O. R. (2013). The carbon curse : Are fuel rich countries doomed to high CO2 intensities ? Energy Policy, 62 : 1356-1365.

(2) Voir par exemple Sachs, J. D. and Warner, A. M. (1995). Natural resource abundance and economic growth. Working Papers, 5398, National Bureau of Economic Research.

....................

Références

Titre original de l’article : Carbon Curse in Developed Countries

Publié dans : Energy Economics, Volume 90, August 2020

Disponible via : https://doi.org/10.1016/j.eneco.2020.104829


* Chercheur PSE

Crédits visuel : Shutterstock - Oil and Gas Photographer