La science économique au service de la société

Pourquoi les salariés du secteur financier perçoivent-ils des rémunérations conséquentes ?

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Hamid Boustanifar, Everett Grant et Ariell Reshef

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La crise de 2007-2008 a intensifié la volonté de comprendre l’envolée des hautes rémunérations dans le milieu financier, perçu comme une cause centrale, un catalyseur et un propagateur des difficultés économiques liées à cette dernière « grande récession ». Quatre raisons sous-tendent cette démarche : les hauts revenus dans la finance contribueraient significativement aux inégalités dans leur ensemble ; leur persistance dans l’après-crise pose la question de la captation par les salariés du secteur d’éventuels bénéfices sociaux induits par ces activités ; ces hauts et très hauts revenus, peu « féconds » socialement, détourneraient des autres branches productives de l’économie des salariés talentueux ; le développement financier a un rôle important dans l’explication du développement économique. Il semble dès lors pertinent de mieux comprendre l’organisation propre au secteur financier, et les effets indirects du développement de la financiarisation de l’économie.

Dans cet article, Hamid Boustanifar, Everett Grant et Ariell Reshef mettent en lumière le rôle central joué par la déréglementation financière dans l’augmentation des salaires de ce même secteur financier, et les modalités de ce processus. Quelques articles académiques récents tentent d’évaluer si cette hausse des rémunérations trouve sa source dans la « récompense » de salariés doués ou dans l’augmentation des rentes (1). Ici, les auteurs étudient empiriquement, pour la première fois, les conditions préalables à de telles hypothèses. Leur étude couvre la période 1970-2011 et s’appuie sur un échantillon de 22 pays industriels ; ils débutent par une série d’observations. Les rémunérations perçues dans le secteur financier (relativement aux autres secteurs) tendent à augmenter - pas dans tous les pays, et selon des intensités différentes - durant l’essentiel de la période et se stabilisent après 2008. Les salariés de la finance dits « qualifiés » (formation post-bac) sont parties prenantes de cette augmentation, et s’ils représentent en moyenne 5,4% des salariés (qualifiés) tous secteurs confondus, ils génèrent 36% de la hausse des rémunérations observés chez l’ensemble des salariés qualifiés ou très qualifiés. La moitié de la hausse des rémunérations dans la finance est imputable aux activités spéculatives et afférentes (sécurisation, conseils…) bien que ces dernières embauchent, en moyenne, seulement 13% des salariés du secteur. Ces observations invitent à un examen plus approfondi des mécanismes à l’œuvre dans la catégorie des salariés qualifiés et le secteur bancaire non traditionnel.
H. Boustanifar, E. Grant et A. Reshef poursuivent ensuite dans leur analyse : tous les pays étudiés déréglementent progressivement, sur la période étudiée, leur secteur financier ; ce dernier investit de plus en plus dans les technologies de l’information et de la communication ; la mondialisation financière s’accélère également. Chaque phénomène peut potentiellement affecter les salaires via des incitations, des effets d’échelle et dits « de portée » (2). A partir du traitement statistique de leurs données, « contrôlant » les spécificités et tendances propres à chaque pays, les auteurs isolent le premier phénomène, la déréglementation financière, comme facteur explicatif principal des hausses de salaires. Plusieurs mécanismes sont analysés. D’une part, cette relation de causalité a un effet bien plus marqué dans les pays où les systèmes financiers s’appuient davantage sur le crédit non-bancaire et les marchés boursiers, où l’intensité spéculative sur les marchés des capitaux est plus forte, et où le secteur dans son ensemble apparait moins concurrentiel. Cela recoupe des théories récentes qui soulignent les effets de l’asymétrie et de la complexité informationnelles sur les prises de risques excessives des agents et l’émergence de rente. D’autre part, les effets de la déréglementation financière sont plus visibles dans les pays où le marché du travail est plus flexible. Là encore, cela recoupe les conclusions de recherches récentes sur le rôle de la mobilité interentreprises des salariés de la finance, poussée par la concurrence entre les « meilleurs » qui négocient de plus en plus d’avantages et prennent de plus en plus de risques inutiles.
Au final, les conclusions empiriques des auteurs désignent la déréglementation comme le principal facteur explicatif des hausses des rémunérations dans la finance, et soulignent que lorsque ces effets sont conséquents, ils ont généralement comme corollaires une appétence pour les risques et l’émergence de rentes détournées du reste de la société.

(1) Les références complètent de Celerier et Vallee (2015), Bohm, Metzger et Stromberg (2015), Lindley et McIntosh (2014) sont accessible dans la bilbiographie de ce document
(2) La gamme des activités d’une institution financière peut, en accroissant la complexité des tâches ou via les interactions entre activités, avoir un effet sur les salaires

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Titre original de l’article académique : “Wages and Human Capital in Finance : International Evidence, 1970-2011”
Publié dans : Federal Reserve Bank of Dallas - Globalization and Monetary Policy Institute. Working Paper No. 266
Téléchargement : http://www.parisschoolofeconomics.com/reshef-ariell/papers/BGR_finwage.pdf

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