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Formation et vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement

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Matthew Elliott, Benjamin Golub et Matthew Leduc

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La production moderne est un processus complexe : par exemple, pour construire un avion, il faut associer de nombreux types indispensables de composants/moteurs, systèmes de navigation, etc. En outre, ces composants sont eux-mêmes complexes, fabriqués à l’aide de nombreux sous-composants essentiels, etc. Ainsi, en cas de rupture de la chaîne d’approvisionnement empêchant d’obtenir certaines marchandises, les effets en chaîne peuvent entraîner une perte de valeur importante. Les ruptures d’approvisionnement se produisent pour toutes sortes de raisons : l’accident d’un véhicule de livraison, une incompréhension liées aux exigences à respecter en matière d’intrants, ou un incendie dans l’usine du fournisseur. Étant donné que de tels incidents peuvent générer une perte de valeur, les entreprises disposent de deux mesures incitatives clés pour s’en protéger.
L’une des solutions consiste à diversifier leurs sources d’approvisionnement : garantir davantage de fournisseurs pour chaque type d’intrant clé, au cas où un fournisseur se retrouverait dans l’impossibilité de livrer. La seconde solution est d’investir dans leur chaîne d’approvisionnement, par exemple en mettant en place une gestion plus vigilante des relations avec les fournisseurs.

Dans cet article, Matthew Elliott, Benjamin Golub et Matthew Leduc utilisent la théorie économique pour modéliser des mesures incitatives d’investissement au sein des chaines d’approvisionnement. L’objectif ici est de comprendre si les mesures incitatives individuelles des entreprises visant à préserver des relations solides avec les fournisseurs créent un réseau d’approvisionnement globalement robuste. Les auteurs développent une nouvelle théorie de formation stratégique des réseaux d’approvisionnement pour la production de marchandises complexes, dans lesquels les entreprises décident à la fois si elles pénètrent le marché et la solidité requise pour leurs relations fournisseurs. Le cadre de modélisation leur permet de se faire une idée concrète de la solidité des chaînes de production. La principale conclusion tirée est que malgré la diversification des sources d’approvisionnement et des investissements endogènes en matière de fiabilité, les chaînes de production peuvent mettre en évidence de très fortes vulnérabilités au niveau agrégé. De légères variations macroéconomiques, tel qu’une évolution de la demande des consommateurs, peuvent conduire à une chute spectaculaire de la production. Dans ce modèle, deux caractéristiques sont essentielles pour ces prévisions : (I) la complexité, en particulier le fait que plusieurs sources d’intrants sont essentielles à chaque étape de la chaîne de production et (ii) le fait que les entreprises concluent des contrats avec certains fournisseurs qui peuvent faire défaut à la livraison plutôt que d’acheter des intrants clés en main.

Certaines forces existantes peuvent faire basculer l’économie dans ce type de configuration fragile. Par exemple, le problème dit du « passager clandestin » : une entreprise ayant tendance à trop compter sur les investissements d’autres sociétés de la chaîne d’approvisionnement pour améliorer la fiabilité des relations fournisseurs. Plus il y a de sociétés intégrant le marché, plus la concurrence s’intensifie et les bénéfices diminuent. Une telle situation érode encore les mesures incitatives d’investissement des entreprises pour améliorer la solidité de leurs relations fournisseurs et exacerbe le problème du « passager clandestin ». Les auteurs concluent qu’une entrée se produit souvent jusqu’au moment où les chaînes d’approvisionnement se retrouvent au bord du gouffre et que les investissements ne peuvent diminuer davantage sans que les chaînes d’approvisionnement ne s’effondrent. Les chaînes d’approvisionnement sont alors très vulnérables, même aux petits chocs macroéconomiques.

Les résultats sont pertinents pour la réglementation d’une économie complexe : les secteurs dans lesquels trop de sociétés peuvent s’implanter de manière rentable sont plus vulnérables à la fragilité que l’on vient de décrire. En effet, le problème du sous-investissement endogène pour améliorer la fiabilité de l’approvisionnement est exacerbé dans un secteur congestionné. La concurrence a des avantages manifestes, à savoir une production accrue et des prix inférieurs. Mais les résultats des auteurs impliquent qu’un effet délétère se dégage du fait des fragilités que cette situation engendre. Par conséquent, restreindre plus sévèrement l’accès que le ferait un marché concurrentiel pourrait se justifier par des considérations macroprudentielles.

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Titre original de l’article : Supply network formation and fragility
Publié dans : (références à venir)
Disponible sur : https://www.dropbox.com/s/49bl1o36auz3ys9/SNFF.pdf?dl=0