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L’accès à la propriété des immigrés

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Laurent Gobillon et Matthieu Solignac

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L’intégration des immigrés est un sujet de préoccupation constant pour les pays Européens qui connaissent des mouvements migratoires au sein de l’Union et un afflux de réfugiés. Une large littérature économique s’intéresse au succès des immigrés sur le marché du travail ainsi qu’à l’effet de l’arrivée de main-d’œuvre étrangère sur le succès des natifs (1). L’accès à la propriété du logement constitue un autre marqueur de l’assimilation des immigrés, peu étudié jusqu’ici. Cet accès peut aussi être considéré comme un signe d’intégration réussie : à l’aspect financier s’ajoute pour certains l’accès à des quartiers résidentiels plus favorisés et aux effets positifs de voisinage associés. Aux Etats-Unis, la différence de taux de propriétaires entre natifs et immigrés est importante, de l’ordre de vingt points, et elle tend à perdurer au cours du temps (2).

Dans cet article, les auteurs étudient à l’accès des immigrés à la propriété en France, et plus particulièrement dans quelle mesure l’évolution du taux de propriétaires parmi les immigrés est influencée par les flux migratoires internationaux. En effet, ce taux est affecté par les entrées et sorties du territoire français d’immigrés qui se distinguent en termes de pays d’origine, ressources financières, structure familiale et préférences distincts. Il existe notamment une auto-sélection des immigrés basée sur le succès économique et affectant l’évolution de leurs revenus et de leur catégorie socio-professionnelle observée dans les pays d’accueil. Cependant, l’influence des migrations internationales sur le taux de propriétaires n’avait pas été étudiée jusqu’à maintenant.

Les travaux empiriques des auteurs sont menés sur l’Echantillon Démographique Permanent (EDP) construit par l’INSEE à partir des recensements successifs et des registres d’état civil. Cette base de données permet un suivi systématique des individus nés durant quatre jours d’octobre, notamment leur statut par rapport au logement, durant une période de vingt-cinq ans s’étalant entre 1975 et 1999. La différence de taux de propriétaires entre natifs et immigrés est importante et a perduré au cours du temps. Il existe cependant des différences marquées entre groupes d’immigrés. Alors que les immigrés du Maghreb (Algériens, Marocains et Tunisiens) se caractérisent par un taux faible de propriétaires et un écart avec les natifs qui décroît à peine, les immigrés d’Europe du sud (Italiens, Espagnols et Portugais) connaissent un taux de propriétaires bien plus important et l’écart avec les natifs disparaît au cours de la période.

Ces évolutions globales des taux de propriétaires résultent pour partie de l’accès à la propriété des individus qui demeurent sur le territoire français sur l’ensemble de la période (i.e. les « restants »). Dans le cas des immigrés, elles reflètent aussi l’ampleur et la spécificité du renouvellement de la population par les migrations internationales. Les auteurs montrent ainsi que les entrées sur le territoire ont un fort impact négatif sur l’évolution du taux de propriétaires des immigrés. En effet, bien que les immigrés entrants aient en moyenne un meilleur diplôme que les immigrés restants, ils sont aussi plus jeunes et ont encore peu de patrimoine. Par ailleurs, ils sont localisés dans les grandes villes où le taux de propriétaires est plus faible, et la valorisation de leurs caractéristiques (comme le diplôme et la catégorie socio-professionnelle) est plus limitée que celle des restants. Les immigrés quittant le territoire ont quant à eux un effet positif sur l’évolution du taux de propriétaires des immigrés car ils ont une faible propension à être propriétaires avant leur départ. Mais cet effet ne représente qu’environ un cinquième de celui des immigrés entrants. Pour les restants, la valorisation des caractéristiques des immigrés tendent plutôt à se rapprocher de celle des natifs, ce qui peut suggérer une amélioration de leur intégration. Mais les différences sont marquées entre groupes définis selon le pays d’origine. Enfin, l’analyse montre que les restants accédant à la propriété se retrouvent plutôt dans des logements et des quartiers moins attractifs que les natifs.

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Titre original de l’article : The homeownership of immigrants in France : Selection effects related to international migration flows
Publié dans : Journal of Economic Geography, lbz014 - june 2019
Disponible à : https://doi.org/10.1093/jeg/lbz014

(1) Borjas, G (2014), Immigration Economics, Harvard University Press, 296 p.
(2) Borjas, G (2002), “Homeownership in the immigrant population”, Journal of Urban Economics, 52:448–476.