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La baisse des taux directeurs induit-t-elle une plus grande prise de risque du secteur financier ?

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Nuno Coimbra et Hélène Rey

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À l’issue de la crise financière, la question de la prise de risques excessive par les banques et autres intermédiaires financiers est devenue centrale, particulièrement dans les esprits des chercheurs et régulateurs. En comprendre les causes et origines est essentiel pour mettre au point le cadre réglementaire adéquat puisque le risque est inhérent au secteur de la finance. L’une des grandes difficultés est de comprendre si la politique monétaire influe sur la prise de risques dans le secteur financier, mais aussi quand et comment les deux sont interdépendants. La période de taux historiquement bas qui a précédé la crise a-t-elle menacé la stabilité financière ? L’environnement actuel avec des taux d’intérêts bas conduit-t-il à la montée d’un risque systémique ?

Dans cet article, Nuno Coimbra et Hélène Rey examinent comment la concurrence entre les différents intermédiaires financiers peut créer un lien direct entre taux directeurs et stabilité financière. Les taux d’intérêt affectent la structure du secteur financier et la répartition des actifs entre intermédiaires financiers plus ou moins risqués.

Lorsque les taux d’intérêt sont très bas, les intermédiaires financiers les moins averses au risque peuvent développer leurs activités en utilisant l’effet de levier et pousser hors des marchés financiers risqués les intermédiaires plus prudents. Par exemple, une banque prudente souhaitant proposer des crédits hypothécaires en période de boom pourrait avoir des difficultés à rivaliser avec une banque voisine prête à proposer des crédits hypothécaires NINJA (No-Income-No-Job-no-Assets, sans revenu ni emploi ou biens) à des taux très bas. Comme leur nom l’indique, il s’agissait de crédits hypothécaires très risqués où le créancier n’était pas tenu d’obtenir des informations relatives à l’emploi, au revenu ou au patrimoine de l’emprunteur. Plus il est facile pour une banque moins averse au risque de trouver des fonds à bas coût pour proposer des crédits hypothécaires, plus il sera difficile pour la banque prudente de trouver une clientèle pour ses propres crédits. Cela signifie qu’un faible niveau de taux d’intérêt peut entraîner une détérioration de la stabilité financière par son incidence sur la structure du secteur financier.

Un modèle macroéconomique intégrant des intermédiaires hétérogènes permet de clarifier le plein effet des taux d’intérêt sur la structure du secteur financier. Lorsque les taux d’intérêt chutent, deux effets antagonistes apparaissent. Le premier, comme expliqué ci-dessus, signifie que la concurrence en matière d’actifs financiers fait grimper la valeur des actifs et diminuer les rendements escomptés, ce qui peut conduire à une diminution de la part de marché des intermédiaires financiers et des banques plus prudentes. Il en résulte une concentration accrue du secteur financier vers les intermédiaires moins prudents, fortement endettés, générant des primes de risque faibles et un risque systémique plus élevé. Le deuxième effet repose sur le coût moindre du passif. Si le coût du passif chute, des intermédiaires plus prudents pourraient penser qu’il est intéressant d’augmenter leurs positions en actifs risqués. Le marché devient alors moins concentré et la stabilité financière s’améliore. Le premier effet tend à prévaloir lorsque les taux d’intérêt sont initialement bas alors que le second est dominant dans des environnements à taux plus élevés. Par conséquent, une politique monétaire expansionniste menace la stabilité financière dans des contextes à taux d’intérêt bas mais peut l’améliorer lorsque les taux sont initialement élevés.

En conclusion, lorsque les taux d’intérêts ne sont pas au plus bas, les banques centrales qui ont besoin de stimuler l’économie ne sont pas confrontées en permanence à un arbitrage en matière de stabilité financière. Mais lorsque les taux d’intérêt sont initialement bas, de nouvelles coupes pourraient entraîner des coûts en termes de risque systémique et les banques centrales feraient bien de le reconnaître.

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Titre original de l’article : Financial Cycles with Heterogeneous Intermediaries
Publié dans : NBER Working Paper No. 23245 - Issued in March 2017, Revised in January 2019
Disponible à : https://www.nber.org/papers/w23245