La science économique au service de la société

Des modèles ordinaires pour des risques extraordinaires ?

A propos de la valeur des risques climatiques catastrophiques

Antoine Bommier, Bruno Lanz et Stéphane Zuber

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Les recherches les plus récentes concernant le changement climatique révèlent une incertitude importante quant à l’augmentation de température due à la hausse de la concentration des gaz à effet de serre (tels que le CO2) dans l’atmosphère ; il existe cependant de plus en plus de raisons de craindre un changement abrupt et irréversible du système climatique. Un tel changement peut-être qualifié de « catastrophe climatique » : l’évolution socio-économique après la catastrophe est indépendante des actions actuelles, et il est en particulier impossible d’investir pour améliorer la situation par la suite. On peut alors définir la valeur sociale de la réduction des risques catastrophiques comme le montant que la société est collectivement prête à payer pour diminuer la probabilité d’une catastrophe. Intuitivement, cette disposition à payer dépendra de l’aversion collective pour les risques catastrophiques, mais les modèles habituels d’analyse coûts-avantages ne prennent pas en compte une telle aversion. Pour la considérer, on peut utiliser un modèle dit multiplicatif, qui a pour caractéristique d’inclure une perte de bien-être social lorsque les risques individuels sont corrélés plutôt qu’indépendants, ce qui se produit pour des risques catastrophiques.
Dans cet article, Antoine Bommier, Bruno Lanz et Stéphane Zuber montrent que le modèle multiplicatif implique généralement une valeur sociale de la réduction des risques catastrophiques environ dix fois plus élevée que dans les modèles habituels. Grâce à des simulations numériques, ils montrent que cette valeur a d’importantes conséquences pour les politiques climatiques. Dans le cas de risques catastrophiques limités, les auteurs calculent que le modèle multiplicatif démontre qu’il faut des réductions substantielles d’émission (par rapport au statu quo) pour rester à des niveaux de concentration moins de deux fois plus élevés qu’au début de l’ère industrielle - alors que les modèles habituels ne recommandent que de faibles réductions d’émissions. Dans le cas de risques catastrophiques plus importants (i.e cent fois plus probables), le modèle multiplicatif énonce la nécessité des réductions encore plus drastiques d’émissions pour stabiliser la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère ; les modèles habituels proposent pour leur part des réductions semblables à celles suggérées par le scénario « limité » du modèle multiplicatif, dans lequel les risques sont cent fois moindres. Ces résultats soulignent l’importance de la prise en compte de l’aversion collective pour les risques catastrophiques pour établir les politiques climatiques. Ils appellent également à de nouvelles recherches pour mieux mesurer une telle aversion.
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Titre original de l’article académique : Models as usual for unusual risks ? On the value of catastrophic risk climate change
Publié dans : Working paper CES 2014.17 - Avril 2014
Téléchargement : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00973491
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