La science économique au service de la société

Les premières années de la vie d’un enfant sont-elles les plus cruciales pour son développement cognitif ?

Lien court permanent à cet article : https://bit.ly/2M6UkmK

Duncan Webb (master PPD)

JPEG - 59.1 ko

De nombreux travaux en économie, biologie et dans le domaine neuroscientifique soutiennent que les événements intervenant dans les premières années de la vie d’un enfant peuvent avoir une grande incidence sur son bien-être et sa productivité économique à l’âge adulte (1). La nutrition, le risque de maladie et le comportement parental sont autant de facteurs qui peuvent avoir des répercussions considérables sur le développement cognitif et socio-affectif de l’enfant. Ces variables peuvent influencer à leur tour la réussite scolaire, le succès professionnel et l’épanouissement de l’individu à l’âge adulte. De tels facteurs peuvent s’avérer d’autant plus importants dans les pays à revenu faible et intermédiaire, où les enfants se révèlent plus vulnérables aux chocs affectant leur développement si les filets de sécurité sociaux et les marchés de l’assurance ne sont pas efficaces. La période à laquelle surviennent ces chocs peut être particulièrement déterminante : les 1 000 premiers jours de la vie d’un enfant sont souvent considérés comme la « période critique », essentielle à un développement cognitif normal. Cependant, la littérature économique n’a pu établir que de rares comparaisons directes entre les effets de chocs intervenant à différents âges et les programmes mis en place par les pouvoir publics pour y répondre. Cette question revêt pourtant une importance cruciale pour les responsables politiques ; en effet, y répondre leur permettra de comprendre la façon la plus efficace de cibler les programmes pour la petite enfance afin d’obtenir le meilleur rapport qualité/prix.

Dans cet article, Duncan Webb évalue dans quelle mesure il existerait des périodes critiques lors du développement de l’enfant, en utilisant un contexte empirique unique. Il examine l’impact de chocs climatiques survenus durant la petite enfance sur les résultats cognitifs et socio-affectifs à l’âge adulte de sujets nés dans l’Indonésie rurale de 1988 à 2000. En se concentrant sur les chocs climatiques, l’auteur est en mesure de comparer l’impact de différents chocs à des âges distincts. De plus, comme les données utilisées dressent l’historique complet des migrations vécues par un individu dans son enfance, il peut analyser les effets des chocs à tous les âges, depuis la conception jusqu’à l’âge de 15 ans. Sa principale conclusion est la suivante : ces chocs ont un impact considérable sur les compétences cognitives de l’adulte lorsque ceux-ci surviennent à l’âge de 2 ans chez ce même individu. En revanche, le développement socio-affectif n’est pas sujet à la même période critique. L’effet des chocs sur ce développement est réparti parmi les différents âges.

Afin d’interpréter les implications de ces résultats en matière de politiques économiques, il est important de comprendre les mécanismes par lesquels les chocs climatiques peuvent avoir un effet sur les enfants. Duncan Webb souligne que de meilleures conditions climatiques entraînent une augmentation de la consommation des ménages, et de la taille et du poids des enfants. Ces observations suggèrent que les chocs peuvent avoir des conséquences sur les revenus agricoles et la nutrition. On peut alors considérer que les politiques qui ciblent le revenu agricole et la nutrition auront des effets comparables à ces chocs. Si tel est le cas, alors ces résultats impliquent que des politiques publiques d’investissement en faveur de la petite enfance seront plus efficaces sur le plan du développement cognitif si elles ciblent les enfants âgés de 2 ans. D’autre part, du point de vue du développement socio-affectif, la concentration des investissements au cours des 1 000 premiers jours de la vie d’un enfant ne présente pas autant d’avantages. Les politiques qui visent à améliorer l’épanouissement socio-affectif seront d’autant plus efficaces qu’elles interviennent durant l’enfance et l’adolescence. Enfin, ces chocs climatiques rendent tout lissage de la consommation par les ménages ruraux indonésiens très difficile. Les conséquences que cela peut avoir à long terme étayent l’argument en faveur d’une expansion des filets de sécurité sociaux.

***

Référence
(1) Almond, Douglas, Janet Currie, and Valentina Duque. 2018. « Childhood Circumstances and Adult Outcomes : Act II. » Journal of Economic Literature, 56 (4) : 1360-1446.

Titre du mémoire de master : « Critical Periods in Cognitive and Socioemotional Development - Evidence from Weather Shocks in Indonesia »
Sous la direction de : Karen Macours
Disponible sur : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02407565

Crédit photo : MC Image (Shutterstock)