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L’élasticité-prix de la demande d’épargne retraite : l’exploitation d’une expérience quasi-naturelle

Alexis Direr et Rim Ennajar-Sayadi

L’élasticité de l’épargne au taux d’intérêt est une question classique en économie mais elle est jusque-là restée inexplorée dans le cas de l’épargne retraite (épargne dont le capital accumulé est converti en rentes viagères à la retraite). C’est une question essentielle dans un contexte où les rendements financiers à long-terme se réduisent d’année en année, où les gains d’espérance de vie réduisent le rendement que les assureurs peuvent garantir (puisqu’ils devront servir une rente sur une durée moyenne plus longue) et dans une période où l’épargne privée est supposée pallier la baisse prévisible des pensions publiques.
Dans cet article, Alexis Direr et Rim Ennajar-Sayadi étudient cette question en exploitant une réforme majeure du marché intervenue en France. En 2006, le gouvernement passe un décret contraignant les assureurs à proposer à partir de l’année suivante des taux de conversion du capital en rentes différents pour les hommes et les femmes, reflétant le différentiel de mortalité entre les deux sexes. Cette réforme créé un changement soudain et inattendu du rendement actuariel des contrats en défaveur des femmes. Les auteurs exploitent les données de souscriptions de contrats Madelin destinés aux professions indépendantes d’un grand assureur français entre 2003 et 2010. Ils distinguent trois profils : les femmes dont le taux de conversion baisse brutalement de 10 % ; les hommes en couple dont le taux de conversion est réduit d’en moyenne 5 % s’ils anticipent la réversion au conjoint survivant au passage à la retraite, les hommes seuls dont le taux de conversion est insensible à la réforme dans la mesure où ils n’anticipent pas d’opter pour la réversion. Une fois contrôlée par l’évolution des hommes seuls, les auteurs mettent en lumière une baisse de la demande de souscriptions des femmes de 16 % et de 12 % pour les hommes en couple. Les élasticités prix des souscriptions sont respectivement de 1,5 et 2,5, ce qui représente des valeurs très significatives.
Au total et paradoxalement, la réforme a produit un effet durablement positif sur la demande qui s’explique par de puissants effets d’anticipation. Les épargnants ont en effet massivement souscrit des contrats d’épargne les six mois précédant la réforme afin de bénéficier des anciennes conditions tarifaires. Cette « ruée vers l’épargne » a représenté l’équivalent de six semestres de souscriptions observées en temps normal, ce qui a durablement compensé la baisse des souscriptions observée après l’application de la réforme.
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Titre original de l’article académique : How Price Elastic is the Demand for Retirement Saving ?
Non publié
Téléchargement : http://www.jourdan.ens.fr/ adirer/paper/classifi.pdf
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