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Comment évaluer la taille de l’économie informelle ? Le cas de la Turquie

Armagan T. Aktuna Gunes, François Gardes, Christophe Starzec

On considère généralement que les activités économiques informelles s’expliquent par le double motif d’éviter la taxation et d’améliorer son niveau de vie. L’identification des « marchés noirs » et de leurs mécanismes, qui constitue un objectif essentiel des autorités publiques, est rendue difficile par l’absence de statistiques fiables et précises. Les méthodes les plus utilisées pour évaluer la taille de l’économie informelle se basent sur des approches macroéconomiques : études sur la demande de monnaie, sur la collecte des impôts, sur l’utilisation d’électricité ou d’un autre facteur de production (1) etc. Ainsi, les évaluations sont disparates et ne facilitent pas la mise en œuvre de politiques appropriées.
Dans cet article, Armagan T. Aktuna Gunes, François Gardes et Christophe Starzec étudient ces différentes modalités puis s’intéressent spécifiquement au cas de la Turquie. L’estimation de la taille de l’économie informelle varie en effet selon les méthodes, pour des périodes récentes comparables, de 3,6% à 139% de l’économie officielle. Par ailleurs, les hypothèses qui permettent d’effectuer ces estimations macroéconomiques sont très critiquées pour leur absence de fondements théoriques, ce qui donne de l’intérêt aux rares études fondées sur une approche microéconomique. Ici, les auteurs utilisent deux méthodes microéconomiques : la première se base sur des enquêtes directes auprès de la population polonaise (2), tandis que la seconde cherche à révéler le déficit de revenu repéré par le niveau des dépenses de consommation des ménages en Turquie (3). L’utilisation des données intégrant les dépenses monétaires et le temps passé à chaque activité permet d’effectuer correctement les estimations d’un système de fonctions de consommation (4). Comme on pouvait le prévoir, la taille de l’économie informelle en Turquie estimée en utilisant les dépenses complètes (temps plus monnaie) est plus élevée que celles obtenues par l’approche des seules dépenses monétaires : respectivement 40,6% et 33,5% du PIB pour les travailleurs indépendants et 20,7% et 14,1% du PIB pour les salariés. Par ailleurs, cette estimation est également plus élevée que celle obtenue par les méthodes macroéconomiques plus conventionnelles (de l’ordre de 35% en moyenne). L’importance de l’économie informelle en Turquie a des conséquences sensibles en termes de redistribution : dans ce modèle, l’incorporation des revenus issus de ces activités informelles réduit en effet les indicateurs de pauvreté et d’inégalité des revenus d’un tiers environ.
(1) Par exemple l’éclairage repéré par les satellites ou des modélisations macroéconomiques dynamiques.
(2) Gardes, F ., Starzec, C., 2009, Polish Households’ Behavior in the Regular and Informal Economies, Revue Economique, Sept.
(3) Données obtenues par un appariement d’une enquête de Budget de Famille avec un enquête de Budget-temps.
(4) Pissarides, C., Weber, G., 1989, An Expenditure-Based Estimate of Britain’s Black Economy, Journal of Public Economics, 39, p. 17-32.

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Titre original de l’article académique : “L’évaluation de la taille de l’économie informelle par un système complet de demande estimé sur données monétaires et temporelles”
Publié dans : Revue économique 2014
Téléchargement : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RECO_654_0567
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