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Comment les choix éthiques façonnent les politiques face aux risques climatiques

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Marc Fleurbaey, Aurélie Méjean, Antonin Pottier et Stéphane Zuber

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Les travaux les plus récents en sciences du climat soulignent le risque de changements climatiques abrupts et irréversibles qui pourraient à terme mettre en danger l’existence de nombreuses espèces et d’êtres humains. De tels changements peuvent être qualifiés de catastrophes climatiques. Ces dernières sont entourées de nombreuses incertitudes, il est donc difficile d’évaluer la probabilité qu’elles se produisent. Elles ont cependant reçu une attention croissante des économistes, notamment de ceux développant des modèles d’évaluation intégrée économie-climat, étudiant les interactions entre le système climatique et l’économie. Les catastrophes climatiques, en induisant une mortalité précoce de personnes qui auraient pu avoir des enfants, empêchent l’existence de nombreux individus futurs. Cela pose de nouveaux problèmes éthiques soulignés dans le cinquième rapport du Groupe d’Expert Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), dont la question de la valeur accordée à l’existence des générations futures (1). Celle-ci s’ajoute aux débats éthiques qui traversent déjà l’économie du changement climatique et qui portent sur le taux d’escompte social (qui traduit les coûts futurs d’éventuelles catastrophes en coûts actualisés). Il s’agit notamment de savoir quelle importance attribuer au bien-être des générations futures et aux inégalités entre générations. Ces débats sont d’une importance cruciale pour décider des politiques climatiques, comme cela a pu être illustré par les recommandations du rapport Stern (2), assez éloignées des recommandations d’autres économistes comme William Nordhaus, récent prix Nobel d’économie. L’une des sources importantes de leur désaccord portait sur des choix éthiques quant à la valorisation des effets futurs du climat.

Dans cet article, Marc Fleurbaey, Aurélie Méjean, Antonin Pottier et Stéphane Zuber discutent de ces choix éthiques et de leur influence sur la politique climatique en prenant en compte d’éventuelles catastrophes. Ils supposent pour cela que le changement climatique peut influer sur la probabilité de survenue des catastrophes. De nouveaux arbitrages doivent donc avoir lieu entre la consommation actuelle et la probabilité d’évènements catastrophiques. La réalisation de ces arbitrages dépend de paramètres éthiques ayant trait à la préférence pour la taille des populations actuelles et futures et à celle pour la redistribution des richesses entre générations. Les auteurs montrent qu’il n’existe a priori pas de relation univoque entre ces paramètres et le choix d’une politique climatique : une plus grande préférence pour la taille des populations, par exemple, tend à augmenter la disposition de la société à payer pour réduire le risque de catastrophe mais diminue en même temps la valeur de la réduction future des dommages climatiques (cet effet passe par l’augmentation du taux d’escompte social) (3).

Pour obtenir des résultats plus précis, les auteurs développent un modèle d’évaluation intégrée économie-climat avec une probabilité endogène de catastrophe. Ils comparent trois scénarios : un scénario dans lequel les tendances d’augmentation des émissions se poursuivent, un scénario limitant la hausse de température à 3°C et un autre la limitant à 2°C. Ils montrent qu’une plus forte préférence pour la taille des populations se traduit toujours par une politique climatique plus ambitieuse, la politique de limitation à 2°C étant presque toujours choisie quand cette préférence est la plus forte, même si le risque est très faible. Par ailleurs, la préférence pour la redistribution intergénérationnelle à un effet non-monotone : une plus forte préférence diminue dans un premier temps les efforts de réduction des émissions (car le taux d’escompte social est plus fort) puis les augmente à nouveau. Cela suggère la possibilité de consensus en faveur d’une politique climatique ambitieuse de la part de groupes ayant des convictions éthiques différentes : des personnes ayant des opinions opposées quant à la nécessité d’une redistribution intergénérationnelle peuvent s’accorder sur la politique climatique à mener.

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(1) Ces problèmes éthiques sont discutés dans le troisième chapitre du cinquième rapport (de 2014) du troisième groupe de travail du GIEC, disponible en Anglais : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3_ar5_full.pdf
(2) Le rapport Stern est disponible en Anglais : http://www.hm-treasury.gov.uk/sternreview_index.htm.
(3) Le taux d’escompte social permet de traduire en valeur actuelle des gains ou des coûts futurs. Un taux d’escompte social plus élevé diminue cette valeur actuelle.

Titre original de l’article : Intergenerational equity under catastrophic climate change
Publié dans : Working paper CES 2017.40 - Octobre 2017
Téléchargement  : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01599453