La science économique au service de la société

Des zones franches dans les quartiers enclavés : une fausse bonne idée ?

Anthony Briant, Miren Lafourcade et Benoît Schmutz

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Les Zones Franches Urbaines (ZFU) ont été créées par la loi du 14 novembre 1996 relative à la mise en œuvre du « Pacte de relance pour la ville ». Ce zonage, destiné aux quartiers cumulant pauvreté et chômage, est l’un des plus emblématiques de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Le dispositif a été conçu pour favoriser le développement économique, la mixité fonctionnelle et l’emploi de ces quartiers, grâce à un large volet d’exonérations fiscales et sociales bénéficiant aux entreprises - de moins de 50 salariés et réalisant moins de 10M€ de chiffre d’affaires - qui y sont implantées ou s’y installent. Prévu à l’origine pour bénéficier à 44 quartiers « sensibles » pendant cinq ans, le dispositif a été étendu une première fois en 2004 avec la création de 41 nouvelles ZFU dites de « seconde génération », puis à nouveau en 2006, pour atteindre un total de 100 ZFU. Alors qu’elle arrivait à échéance fin 2011, la politique des ZFU a été prorogée jusqu’au 31 décembre 2014 par la loi de finances pour 2012. En 2013, le coût du dispositif était évalué à près de 470M€, soit bien davantage que le coût de politiques similaires menées dans d’autres pays (1).
Ces ZFU ont-elles contribué à redynamiser les quartiers bénéficiaires ? Dans cet article (2), Anthony Briant, Miren Lafourcade et Benoît Schmutz évaluent l’impact des ZFU de seconde génération sur la dynamique économique des zones ciblées. Ils comparent pour cela leurs performances à celle de quartiers « témoins » similaires, les Zones de Redynamisation Urbaines (ZRU), mais ayant bénéficié d’exonérations bien moindres que celles accordées en ZFU. Les auteurs montrent que la politique des ZFU a eu pour principal effet de transférer des activités existantes vers ces zones, et non d’y créer de nouvelles capacités de production. En matière d’emploi, l’effet de la politique est également modeste, les ZFU ayant accru la marge extensive (nombre de postes), mais pas la marge intensive (nombre d’heures travaillées). La principale contribution de l’article est cependant de montrer que l’impact relativement modeste des ZFU masque en réalité une très forte hétérogénéité : le degré d’isolement géographique, dont les auteurs construisent plusieurs indices synthétiques, conditionne l’efficacité de la politique. Les zones les plus centrales, les moins enclavées ou les mieux desservies par les transports urbains, ont en effet su tirer parti du dispositif des ZFU pour créer de nouvelles capacités de production et accroître la marge intensive et extensive de l’emploi. Les zones périphériques, enclavées ou peu accessibles, caractérisées par une faible élasticité de l’offre de travail, ont en revanche répercuté les exonérations via de faibles hausses de salaires, sans toutefois parvenir à y attirer de nouvelles firmes et à y créer de nouveaux emplois. Ce travail invite donc les pouvoirs publics à coupler leur réflexion sur la réforme de la politique de la ville à celle, plus générale, du désenclavement des quartiers prioritaires.
1. Une revue détaillée de la littérature sur l’impact des « Enterprise Zones » est fournie par Neumark et Simpson (2014), « Place-based policies », NBER Discussion Paper n°20049.
2. Travail effectué pour le compte de la DARES et du Secrétariat Général du Comité Interministériel de la Ville
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Titre original de l’article académique : “Can Tax Breaks Beat Geography ? Lessons from the French Enterprise Zone Experience”
A paraître : American Economic Journal : Economic Policy
Téléchargement : http://www.parisschoolofeconomics.com/lafourcade-miren/draft_ZFU_revAEJ2.pdf
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