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Ami ou ennemi : quel feedback motive le plus ?

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Pierre Fleckinger, Matthieu Glachant et Gabrielle Moineville

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Qu’est-ce qui motive le plus un salarié d’une entreprise : la reconnaissance de ses succès, ou le risque de voir de mauvaises performances largement révélées ? Les dirigeants politiques ont-ils les mêmes incitations à servir le bien commun quand la presse leur est majoritairement hostile et dénonce leurs échecs, ou bien quand elle célèbre leurs succès et passe sous silence les dossiers épineux ? Afin d’inciter les multinationales à se comporter de manière responsables, une ONG doit-elle plutôt médiatiser le comportement des plus vertueuses ou dénoncer les errements des autres ? Les élèves d’une classe ont-ils plus d’incitation à travailler quand l’évaluation des résultats tend à récompenser les meilleurs plutôt qu’à punir les moins bons ?

Dans cet article, Pierre Fleckinger, Matthieu Glachant et Gabrielle Moineville proposent une analyse théorique de ces questions. Les applications sont envisagées dans des champs aussi divers que l’économie industrielle, l’économie des médias, l’économie politique, l’économie de la discrimination ou encore la communication des ONG comme Greenpeace. Les auteurs prennent l’exemple d’une entreprise qui cherche à vendre un produit à des acheteurs potentiels et qui mise sur la qualité, mais celle-ci n’est pas parfaitement observée par les acheteurs. Des intermédiaires informationnels tels que les médias, les ONG ou les agences de notations ont pour rôle de découvrir et transmettre cette information. Sans ces intermédiaires, le prix des produits reflète uniquement une qualité moyenne, l’entreprise n’a alors pas d’incitations à investir en qualité, et celle-ci s’effondre sur le marché - ce résultat est bien connu. Dans cet article, l’analyse met l’accent sur un aspect nouveau : la nature de la communication des intermédiaires informationnels. Celle-ci peut être « amicale », lorsqu’une bonne qualité à plus de chance d’être reportée qu’une mauvaise, ou « hostile », lorsqu’au contraire la mauvaise qualité est plus souvent reportée. Ces deux types de communication ont des effets tout à fait distincts sur les marchés. En particulier, il existe un seul prix d’équilibre de marché et une seule qualité d’équilibre dans un environnement amical, alors que l’équilibre peut être indéterminé (plusieurs situations d’équilibres sont possibles) dans les environnements hostiles parce que les anticipations des acheteurs sont auto-réalisatrices. Ce résultat peut être illustré simplement avec un autre exemple, le dopage sportif. Un test de dopage révèle la présence d’une substance interdite dans le sang, mais ne peut pas prouver l’innocence d’un sportif par rapport à l’ensemble des substances illicites : les sportifs sont donc immergés dans un milieu informationnel hostile. Dans ce contexte, les « acheteurs » sont les spectateurs des événements sportifs ou les sponsors. Si l’audience pense que les sportifs sont dopés, que cela soit confirmé ou non par des tests, les croyances des acheteurs peuvent rester « bloquées » sur le fait que tous les sportifs sont dopés, ce qui pourrait les inciter à l’être effectivement. Pourquoi ? Si le public pense qu’ils sont dopés, les sportifs n’ont rien à perdre à le faire puisqu’ils ne pourront jamais prouver le contraire. En revanche, si les croyances des spectateurs sont initialement optimistes, cela pousse les sportifs à ne pas se doper de peur de perdre leur audience. Dans une même situation, il est donc possible que le dopage soit généralisé ou au contraire très limité, en fonction des préjugés initiaux de l’audience. Ces résultats permettent plus généralement de comprendre le caractère auto-réalisateur des préjugés dans les milieux hostiles ou encore des phénomènes de réputation collective persistante. Afin d’induire le plus d’incitations à la qualité, l’analyse recommande des stratégies de communication dévoilant des éléments de preuves allant contre les a priori plutôt que de chercher à les confirmer, ce que les auteurs appellent la logique d’infirmation. Le biais de confirmation qui a été identifié en psychologie est donc nuisible pour les incitations. C’est bien connu, les vrais amis sont ceux qui vous disent les vérités les plus désagréables à entendre : c’est ce qui fait avancer, en produisant le plus d’incitations en amont. Alors, à quand le bouton « dislike » de Facebook ?

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Titre original de l’article académique : « Incentives for Quality in Friendly and Hostile Informational Environment »
Texte original à paraître dans : American Economic Journal : Microeconomics
Téléchargement : https://sites.google.com/site/pierrefleckinger/FGM.pdf?attredirects=0&d=1

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