La science économique au service de la société

n°2 - La lettre PSE - juin 2010

EDITO de Daniel Cohen
INVITE - Brainstorming avec Bruce Blonigen
PARCOURS - Camille Landais, de Paris à Stanford
DEBAT - Politique familiale et fiscalité
FOCUS - ’Risk, Uncertainty and Decision’ 2010
PARTENAIRE - L’AFD et PSE-EEP, une évidente proximité



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EDITO de Daniel Cohen, Vice président de PSE-Ecole d’économie de Paris


La Grèce est-elle solvable ?
Qu’est-ce qu’un pays insolvable ? Un pays qui ne parvient plus à maîtriser l’évolution de sa dette. Pour simplifier, on considèrera ici qu’un pays est insolvable lorsque les finances publiques ne permettent plus de stabiliser le ratio Dette-sur-PIB. Si l’on veut que la dette croisse moins vite que le PIB, cela signifie que le déficit doit être, en pourcentage du PIB, inférieur au produit de deux termes : le taux de croissance attendu de l’économie multiplié par le ratio Dette sur PIB*. Considérons le cas d’un pays dont le ratio Dette sur PIB se situe à 150%, ce qui devrait être bientôt le cas de la Grèce. Si l’on considère que la croissance structurelle est de 3% seulement (1.5% d’inflation et 1.5% de croissance), le chiffre correspondant se situe à 4.5%.
Le déficit requis inclut les charges d’intérêts sur la dette. Lorsque le ratio Dette-sur-PIB atteint des niveaux élevés, le moindre changement de taux a des effets considérables. Pour un taux d’intérêt égal à 3%, le coût de la dette s’élèverait à 4.5% du PIB. Dans l’hypothèse d’une croissance structurelle à 3%, cela signifie que la Grèce peut s’autoriser un solde primaire (hors charge d’intérêt) à l’équilibre. Si le taux d’intérêt s’élève de 3% à 6% (ce qui s’est passé lorsque les agences de notation ont dégradé la Grèce), le calcul devient tout à fait différent. Il faut en effet que la Grèce dégage un excédent du solde primaire de 4.5%. La ponction devient beaucoup plus lourde. La tentation du défaut augmente. Un pays en défaut doit en toute hypothèse être à l’équilibre primaire. La Grèce, dans le premier calcul, est donc indifférente entre le défaut et le remboursement de la dette. Sachant les coûts connexes, mieux vaut honorer ses engagements. Dans le deuxième cas, le poids des intérêts peut faire vaciller le gouvernement…Cette situation correspond exactement à ce qu’on appelle un équilibre auto-réalisateur**. Si on offre à la Grèce un taux sans risque (c’est aujourd’hui le niveau de 3% pour des emprunts allemands à 10 ans), alors elle est solvable. Si on ajoute une prime de risque pour se couvrir du risque de défaut, alors en effet, ce risque devient tangible.
Avec Richard Portes, nous avions proposé de créer un prêteur en premier ressort. Tout pays menacé d’une spirale auto-réalisatrice devrait pouvoir se tourner vers un bailleur (dans notre idée le FMI) qui offre des taux raisonnables, avant que la spirale de la dette ne s’emballe, en contrepartie d’un effort budgétaire adapté. Ce pourrait être la mission d’un Fonds monétaire européen. Il ne semble pas hélas que ce soit la voie choisie : les taux prévus sont en effet indexés sur ceux des marchés ! Loin d’arracher la Grèce au piège auto-réalisateur, on l’y abandonne.

* On veut que le ratio Deficit/Dette soit inférieur à g, le taux de croissance de l’économie. Il faut donc que le ratio Déficit/PIB soit inférieur à g*Dette/PIB.
** Voir Cohen et Villemot « Self-fulfilling and self enforcing debt crises », CEPR DP6718 .


INVITE - Brainstorming avec Bruce Blonigen


Pourquoi les IDE sont-ils importants dans la littérature économique ?
B.B : Malgré une croissance rapide et des liens étroits avec le commerce international, les Investissements Directs à l’Etranger (IDE) sont relativement peu étudiés. Pourtant, mieux comprendre les actions des firmes transnationales et leurs effets sur les économies et communautés locales nécessitent de prendre en compte les décisions et interactions à l’échelle de l’entreprise. Récemment, j’ai étudié le cas des IDE en Europe. L’analyse précise des données a révélé le rôle non négligeable des « plateformes IDE d’exportation » : les investisseurs étrangers tendent à installer une filiale dans un pays de l’UE alimentant ensuite le reste du marché communautaire.
Je m’intéresse également aux frictions propres aux IDE, particulièrement dans les services, où leur niveau global est faible relativement à leur contribution au PIB. Pourquoi ? Ces services sont-ils (ou ont-ils été) nationalisés ? Sont-ils surveillés par les pouvoirs publics comme secteurs clés ? Les barrières culturelles, dont le langage, sont-elles dominantes ? De prochains articles devraient répondre à tout ou partie de ces interrogations...

Vous vous intéressez de très près aux politiques anti-dumping...
B.B : Leurs évolutions et les analyses associées sont passionnantes ! Créées par les Etats-Unis pour protéger leurs industries nationales des exportateurs « agressifs », elles se sont généralisées en quelques décennies. Utilisées par les pays développés et en voie de développement, quels sont aujourd’hui leurs réels effets sur le commerce et les richesses ? Les économistes sont partagés : certains mettent l’accent sur « l’effet guerre froide » où les intentions de A et B se neutralisent a priori ; dans ce cas les politiques anti-dumping, peu utilisées, n’ont pas d’effet sur le commerce international. D’autres affirment que les politiques anti-dumping se sont largement substituées aux barrières douanières et quotas abaissés par les accords successifs du GATT et de l’OMC ; dans ce cas l’impact négatif serait réel sur les échanges mondiaux. Je partage cette conclusion mais non le diagnostic : l’effet d’anticipation d’une politique anti-dumping activée par le pays visé semble jouer un rôle important en décourageant les exportations.

Votre séjour à Paris est passé vite !
B.B : Oui, mais ces 5 semaines ont été très intéressantes et productives. Loin des tracasseries administratives, j’ai pu me consacrer à mes projets et échanger avec les chercheurs de PSE-EEP. Dans mon domaine - l’économie internationale – le groupe de scientifiques présents ici est vraiment excellent et les interactions ont été fructueuses. Notre métier présente ce précieux avantage de laisser place à l’improvisation et à l’expression de nos envies : après tout, le bonheur dans nos vies personnelle et professionnelle vient bien du degré réel de liberté dans nos choix !


PARCOURS - Camille Landais, de Paris à Stanford


Postdoctoral Scholar au SIEPR - Stanford
Camille prend goût à l’économie en assistant aux séminaires de Daniel Cohen à l’Ecole Normale Supérieure rue d’Ulm. Il suit les cours de l’ancien DEA du DELTA - désormais Master APE - sur le campus Jourdan. Un jour, en déjeunant à la cantine, il se retrouve aux côtés de Thomas Piketty ... le voilà en thèse sous sa direction ! Il soutient en 2008 à PSE-EEP, reçoit une mention spéciale de l’AFSE puis s’envole pour un post-doc à Berkeley où il rejoint Emmanuel Saez.
Avec quelques amis proches, il crée Ecopublix (www.ecopublix.eu), blog sur l’économie publique, les retraites, la fiscalité..., prix Challenges 2008 du meilleur blog en économie. Récemment, son article « Top Incomes in France (1998-2006) : booming inequalities ? » qui pointait l’explosion des inégalités de revenus en France, a été largement cité dans différents médias comme précurseur du rapport remis par l’INSEE début 2010.
Aujourd’hui Camille a rejoint l’université de Stanford où il poursuit ses recherches sur les revenus et les politiques publiques, notamment la fiscalité : optimisation, élasticité, liens entre réductions d’impôts et dons aux associations ou encore impact de la fiscalité sur la mobilité internationale des stars du football !


DEBAT - Politique familiale et fiscalité

François Gardes – Chercheur associé à PSE-EEP
Si un risque politique n’accompagnait pas une réduction des diverses aides économiques à la famille, nul doute qu’un état asphyxié par ses dettes inscrirait cette réduction à son programme d’élagage des niches fiscales. On constate en effet une grande méconnaissance des multiples voies par lesquelles la sphère familiale soutient le développement économique en tant qu’acteur principal de la société civile (par opposition aux relations marchandes et à l’action étatique). Ainsi, l’économie familiale a sans doute, avec le développement des marchés informels, permis d’éviter les explosions sociales qui auraient pu accompagner la transition des pays d’Europe de l’Est (Gardes-Starzec, 2009).
Les aides familiales devraient donc compenser, dans les budgets familiaux, le coût économique des enfants, communément mesuré par l’estimation d’échelles d’équivalence sur données d’enquêtes budgétaires. La vulgate veut que ce coût ait diminué, du fait de la croissance de la part des consommations collectives dans le ménage. Or, plusieurs problèmes essentiels se posent : identification des préférences dans la comparaison des familles avec et sans enfants, évaluation sur l’ensemble du cycle de vie, dépendance au prix (existence de biens publics dans le ménage). L’estimation d’échelles sur panel résout le problème d’identification, montrant l’existence d’un biais, lié par exemple à l’anticipation de dépenses avant la naissance des enfants, dans le calcul d’échelles par comparaison statique de différents types de ménages. L’appariement d’enquêtes fournissant les dépenses monétaires et temporelles des ménages (Budgets de Familles et Budgets-Temps de l’Insee, Gardes et al., 2010) montre que le coût complet de l’enfant dépasse d’un tiers son coût, estimé communément sur données transversales entre 30 et 50% du coût d’un adulte. Une autre cause d’inégalités dans la redistribution des ressources économiques aux familles tient à la négligence de la dimension collective des choix familiaux. L’estimation récente du coût de l’enfant par des modèles collectifs montre que les différences de dépenses observées entre les ménages avec ou sans enfants peuvent être partiellement expliquées, en sus des changements des besoins familiaux, par la redistribution du revenu familial entre les époux.
Ces divers travaux montrent donc que le coût économique des enfants est probablement sous-estimé par la politique familiale, ce qui ne laisse pas d’avoir de profondes répercussions redistributives.

Références :
> Gardes, Sayadi, Starzec, 2010, The Full Cost of a Child : Time and Monetary Expenditures Combined, w.p. Université Paris I, Juin.
> Gardes, Starzec, 2009, Polish Households’ Behavior in the Regular and Informal Economies, Revue Economique.
> Rappoport, Sofer, Solaz, 2010, Household Production in a Collective Model : Some New Results, Journal of Population Economics.

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Stéfania Marcassa – Assistant professor, allocataire DIMeco
La France se distingue des autres pays européens en ce qu’elle reconnaît la famille comme une unité plutôt que comme un groupe de personnes vivant ensemble. Historiquement, sa politique familiale se caractérise par un soutien continu à la natalité, le plus souvent au moyen de crédits d’impôts ou d’allocations limitant le coût financier que représente un enfant. Mais cette politique a évolué pour répondre à d’autres objectifs : lutte contre le chômage, égalité des sexes, lutte contre la pauvreté infantile, aide au logement pour les familles défavorisées etc. Les mécanismes permettant de mieux concilier la vie familiale et la vie professionnelle restent centraux : paiement de congés parentaux, subventions pour les gardes d’enfants et les prestations connexes, scolarisation précoce et offre de soins à l’extérieur de l’école. Ces dispositions peuvent expliquer la part relativement faible de femmes sans enfant, mais également l’impact d’un enfant sur la possibilité pour les femmes de travailler à temps plein : la corrélation entre le nombre d’enfants par femme et le taux d’activité est beaucoup moins liée au statut socio-économique des ménages que dans les autres pays.
Avoir des enfants – et non se marier ou se pacser – est « récompensé » fiscalement, via le quotient familial, rapport du revenu d’un ménage sur le nombre de parts le composant. Cette disposition favorise les familles nombreuses avec un revenu élevé mais peut avoir des effets ambigus dans les ménages où l’écart des salaires homme-femme est considérable : en France, le taux d’imposition effectif du « 2e travailleur » (généralement la femme) crée une relative incitation financière à l’activité, incitation pouvant être supplantée par l’augmentation de l’activité du « 1er travailleur » qui, payé encore plus, abaisse son taux d’imposition marginal...et donc celui du foyer !
Les différents instruments de la politique familiale française - dont le nombre et l’imbrication rendent leur évaluation individuelle difficile - contribuent donc à un environnement favorable pour la natalité. Mais le comprendre plus globalement nécessite l’analyse de l’impact de la flexibilité du marché du travail (temps partiel, mobilité...) sur l’ajustement ou la réduction des incertitudes conduisant les couples à retarder les naissances. Enfin, la perception « sociale » de la famille joue en France un rôle central et la distingue clairement des autres pays (Eurobarometer survey, 2001). L’ensemble de ces facteurs et leurs combinaisons comparés avec nos voisins européens leur donnent probablement des pistes pour enrayer la baisse de la natalité.


FOCUS - ’Risk, Uncertainty and Decision’ 2010


Le marché des jeux en ligne, fraîchement ouvert à la concurrence, est estimé à 2 milliards d’euros en 2011 pour trois millions de joueurs ; en 2009, 30 millions de joueurs français avaient dépensé 21,6 milliards d’euros dans l’ensemble des jeux d’argent et de hasard. Si certains possèdent un côté « joueur », nombreux sont ceux qui choisissent aussi des placements sûrs, des extensions de garantie, des assurances annulation…, ce qui témoignerait plutôt d’un comportement prudent. Ces comportements face au risque et à l’incertain sont des exemples, parfois anecdotiques, de ce que constitue l’objet d’étude des chercheurs qui se rassemblent chaque année lors de la conférence RUD.
Leur but est de proposer des modélisations des comportements dans des situations d’incertitude lorsque l’information disponible est insuffisante pour connaitre de manière certaine le résultat de ses actions. Ces chercheurs portent un intérêt spécial aux fondements mathématiques et philosophiques des théories, au traitement axiomatique des modèles et encouragent de nouvelles approches, par exemple dans le domaine de la rationalité limitée.
Ces approches formelles permettent un large champ d’applications. RUD est devenu au fil des années le lieu de rencontre privilégié et incontournable des chercheurs en théorie de la décision, des plus reconnus aux jeunes doctorants. Tous y ont le même statut, le même temps de parole et tous sont invités aux événements sociaux. Ceci a permis un renouvellement des thématiques depuis la création de cette conférence en 1997. Organisée un temps à Paris, elle s’est ensuite déroulée en différents lieux d’Europe et des Etats-Unis. Au cours de la dernière décennie, quasiment toutes les avancées dans le domaine de la théorie de la décision ont d’abord été présentées et discutées lors de cette conférence.
Cette année, pour sa quatorzième édition, RUD a lieu à Paris les 30 juin, 1er et 2 juillet. Nous attendons une centaine de participants, dont certains sont très reconnus, tous enthousiastes et passionnés, venant autant pour écouter que pour présenter.
Les financeurs de RUD : CNRS, PSE , CES, Thema, DIMeco, Paris 1, Cergy, ADRES

Jaffray’s lecture
Jean-Yves Jaffray, décédé l’an dernier, a été l’initiateur de ce colloque. Pour honorer sa créativité exceptionnelle, sa générosité, son attention portée aux jeunes chercheurs, une « Jaffray’s lecture » sera inaugurée à RUD2010. Elle récompensera chaque année le meilleur papier parmi ceux soumis par les jeunes chercheurs du domaine.
Pour plus de détails sur RUD, son histoire et les travaux de J-Y Jaffray, http://sites.google.com/site/rudparis2010/


PARTENAIRE – L’AFD et PSE-EEP, une évidente proximité


L’Agence Française de Développement (AFD), institution publique, œuvre depuis plus de 60 ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du sud et en Outre-Mer. Sur les cinq continents, elle « finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète »*. Les trois piliers du développement durable sont mis quotidiennement en pratique dans l’éducation, le micro-entreprenariat, l’agriculture raisonnée ou encore la protection de la biodiversité.
Le partenariat entre l’AFD et PSE-EEP, formalisé dès la naissance de la fondation, s’est décliné de nombreuses façons : financement de thèses doctorales, soutien décisif au programme de formation « Politiques Publiques et Développement » (séminaires, intervenants, appui aux étudiants des pays en développement...) et réalisation de nombreux projets de recherche et d’évaluation au Sénégal, au Maroc, au Ghana, au Vietnam, en Afrique du Sud mais également en France (Outre-Mer). Les effets du microcrédit en zone rurale, l’impact des mouvements migratoires, le rôle des « biens publics mondiaux »...sont autant de thèmes couverts par ces études qui mobilisent des dizaines de chercheurs toute l’année.
La coopération entre ces deux institutions est unique, permettant la réunion de visions transversales et innovantes, de connaissances terrain pointues et d’outils d’analyse et de modélisation économique complexes. C’est bien ce dialogue permanent qui permet de dessiner une courbe d’expérience tangible « au service de la solidarité entre les peuples » selon la formule employée par Pierre-Andre Wiltzer, président de l’AFD.

*Rapport annuel 2009 – www.afd.fr


« PSE - La science économique au service de la société »