La science économique au service de la société

Lignes directrices

L’histoire telle que l’aborde le Centre d’histoire économique et sociale François-Simiand consiste en l’analyse des phénomènes économiques et sociaux considérés dans leur durée historique. Cette formulation n’est pas de l’ordre de l’évidence et engage une série d’hypothèses analytiques structurantes. Le Centre a une double ambition : d’abord, promouvoir une approche historique de l’économie ; ensuite, contribuer à désenclaver l’histoire économique pour la rendre pleinement sociale.

Le Centre pose d’abord comme point de départ que l’histoire économique est définie par son objet, et non par ses manières de faire : il existe quelque chose comme des phénomènes économiques ou une sphère d’activités économiques et ces phénomènes ont une histoire. En cela, elle ne se définit pas par de quelconques méthodes, pas plus celles relevant du métier d’historien que celles inspirées des pratiques habituelles des économistes. Il ne s’agit ainsi aucunement d’identifier a priori des mécanismes économiques dont il faudrait montrer le fonctionnement dans des situations historiques particulières.

Le Centre François-Simiand s’inscrit dans la continuité d’une tradition historienne qui fait de l’économie et de la place qu’elle occupe dans les sociétés un objet historique à part entière et pour laquelle la définition même de ce qui relève de l’économique et de ce qui n’en relève pas fait partie de l’analyse.

En cela, le Centre se distingue, pour ne pas dire s’oppose, à la conception encore aujourd’hui dominante en économie qui voit dans l’histoire un terrain d’application pour des modèles transhistoriques (ahistoriques ?) conçus le plus souvent pour des situations actuelles, en les paramétrant pour les ajuster aux caractéristiques institutionnelles et légales insolites des sociétés anciennes.

Cette perspective ne conduit pas pour autant à nier l’existence et l’importance des mécanismes économiques. Bien au contraire, un des objectifs du Centre François-Simiand est de mettre l’accent sur la compréhension de ces mécanismes, notamment en tirant parti de tout ce qu’apporte l’analyse économique (y compris par des modèles quantitatifs ou formalisés) pour les comprendre et en identifier les propriétés. Comme le font les économistes sur des terrains contemporains, l’utilisation de modélisations économiques ou la référence à de tels cadres analytiques permet, à condition d’en vérifier les conditions de validité, de proposer des mécanismes explicatifs mais aussi de faire apparaître les homologies entre des situations historiques différentes, ce qui est aussi une manière de faire de l’histoire comparée.

La définition de l’histoire économique proposée met en avant une dimension analytique primordiale des phénomènes économiques : leur temporalité, qu’elle soit envisagée au niveau micro (durée propre aux trajectoires individuelles, par exemple dans des stratégies d’épargne et d’investissement) ou au niveau macro (durée des processus d’accumulation et de croissance, durée des cycles économiques, etc.).

L’analyse de la durée de ces phénomènes a pour contrepartie de mettre en évidence et de prendre en compte l’existence de moments de rupture, de crises, de changements de régimes qui sont au cœur de leur historicité. Se pose également la question de la succession et de l’ordre des successions qu’exprime de manière si forte pour un historien la notion de chronologie. L’inertie, l’irréversibilité ou la path dependency contribuent à faire que l’histoire compte, que le passé reste présent par tout ce qu’il transmet. Il importe de constater qu’aucune variable d’état ne peut résumer la trajectoire d’un phénomène, et que certains événements « qui ont fait date » donnent à certains moments de la trajectoire passée un poids parfois considérable pesant sur la trajectoire future, dans les limites toutefois des effets de mémoire sélective, caractéristiques des dynamiques historiques.

Tous ces héritages, qui prennent des formes extraordinairement variés, doivent être au cœur de ce que font les historiens comme les économistes quand ils entreprennent d’écrire l’histoire économique.

Définir l’histoire économique par son objet plutôt que par sa méthode a une autre conséquence. Elle implique que l’historien de l’économie s’interroge sur le lien entre son objet et le contexte dans lequel il apparaît. Et ce non pas seulement en considérant l’ensemble des sphères de la vie sociale dans leurs manifestations économiques mais en identifiant l’existence de mécanismes et d’intérêts qui ne sont pas économiques. L’analyse de l’interférence entre ces deux logiques, économique et non économique, est un élément central pour la compréhension des phénomènes économiques dans leur historicité. Cette interférence, qui devrait concerner autant l’économiste que l’historien, est un des facteurs aussi bien de la durée que des ruptures propres à la dynamique des phénomènes économiques.

Les recherches poursuivies au sein du Centre François-Simiand partagent donc le même souci de privilégier autant que possible la durée des phénomènes – parfois leur très longue durée – comme cadre de leur réflexion et de cultiver une certaine proximité avec l’analyse économique, qu’il s’agisse de réfléchir à l’usage possible de quelques-uns de ses concepts ou méthodes ou bien de proposer une réflexion critique sur ces derniers afin de les faire évoluer vers des usages historiques possibles.

La seconde ambition du Centre Simiand est de contribuer à désenclaver l’histoire économique pour la rendre pleinement sociale. La frontière s’est dangereusement creusée entre histoire économique et histoire sociale au cours des dernières décennies, alors même que les problématiques étudiées appellent des approches communes. Quand on étudie l’histoire des différentes formes de travail forcée ou des disparités entre classes sociales, la frontière entre l’économique et le social n’a guère de sens. Quand on s’intéresse aux relations entre crédit, développement et mobilité géographique et sociale dans la France du 19e siècle ou dans l’Afrique du 20e siècle, il n’est pas très utile de commencer par devoir montrer ses papiers. Il est plus urgent de mobiliser les sources pertinentes et les outils analytiques adaptés, d’où qu’ils viennent. Il en va de même si l’on cherche à renouveler l’histoire des formes monétaires et d’échange dans les mondes grecs et romains, l’histoire des régimes fiscaux et successoraux dans la République américaine ou l’histoire des relations de dette sous l’Ancien Régime.

Le Centre Simiand vise à promouvoir de nouveaux dialogues entre ces champs et leurs représentants et, ce faisant, à démontrer que les objets doivent l’emporter sur les postures méthodologiques et les frontières disciplinaires.