Quelle attitude les autorités de concurrence doivent-elles avoir à l’égard des échanges d’informations entre entreprises ?
David Spector
Les échanges d’informations entre entreprises présentent un dilemme aux autorités de concurrence : il est souvent difficile de distinguer leurs effets positifs potentiels de leur capacité à faciliter la collusion tacite. Cette question a gagné en importance ces dernières années parce que les pratiques de collusion se sont adaptées à l’augmentation continue du montant des amendes : les accords explicites sur les parts de marché où les prix tendent à refluer. En conséquence, les autorités de concurrence s’intéressent à des pratiques moins spectaculaires mais susceptibles de faciliter la collusion tacite, comme les échanges d’informations. Ce thème est traité dans les lignes directrices sur la coopération entre entreprises concurrentes publiées en 2011 par la Commission européenne. L’approche préconisée consiste à interdire les échanges d’informations détaillées sur les intentions futures, alors que ceux qui portent sur le passé doivent être appréciés au cas par cas. En particulier, les échanges d’informations individualisées sur les données récentes de vente ou de production doivent être appréciés selon leurs effets. Ils sont illégaux s’ils sont susceptibles de faciliter une entente implicite conduisant à une augmentation des prix, notamment parce qu’ils permettent aux entreprises de se surveiller mutuellement.
En l’absence de théories satisfaisantes, il est difficile de comprendre les faits suivants, observés dans le contexte de nombreuses affaires de collusion : les entreprises s’entendaient sur des objectifs de parts de marché ; elles échangeaient des données détaillées sur leurs niveaux de production ou de vente ; ces données devenaient publiques après un délai long (plus d’un an) mais elles n’étaient pas vérifiables dans l’intervalle ; enfin, lorsque les informations échangées révélaient un écart entre les parts de marché réalisées et celles qui faisaient l’objet de l’entente, les entreprises modifiaient leurs prix pour « corriger le tir ». Ces pratiques sont surprenantes parce que la communication en question constitue du « cheap talk » (1) : rien n’interdit à une entreprise qui souhaite s’écarter de la discipline collusoire de mentir pour cacher l’augmentation de ses ventes. Son écart ne sera révélé que lorsque les chiffres de ventes deviendront publics – ce que l’échange d’informations ne peut pas accélérer. On pourrait donc penser qu’un tel « cheap talk » est inoffensif.
Dans cet article théorique, David Spector s’appuie sur la modélisation d’un jeu répété en information incomplète, inspiré par les faits observés dans de nombreuses ententes. Ce travail montre que l’intuition selon laquelle un tel « cheap talk » serait inoffensif est fausse : les échanges d’informations peuvent rendre la collusion plus efficace si, en facilitant la détection et la correction rapide des fluctuations de parts de marché, ils limitent le recours aux guerres de prix. La calibration du modèle suggère que ce type de communication peut avoir un impact sensible sur la stabilité d’une entente. En conclusion, l’auteur identifie les indices qui pourraient conduire une autorité de concurrence à considérer comme anticoncurrentiel un échange d’informations.
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(1) Le « cheap talk » désigne en théorie des jeux une communication « pure », sans autre conséquence directe que l’interprétation qui peut en être faite.
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Titre original de l’article académique : “Facilitating collusion by exchanging non-verifiable sales reports”
Publié dans : PSE Working Papers n° 2015-07
Téléchargement : https://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-01119959
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