Eviter l’injustice sociale de la fiscalité écologique ? C’est possible
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Diane Aubert et Mireille Chiroleu-Assouline
Peut-on encore plaider en faveur de la fiscalité écologique, dans une période caractérisée par une croissance faible, un chômage persistant et des inégalités qui progressent ? Malgré une prise de conscience croissante de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le changement climatique, les gouvernements sont souvent réticents à mettre en œuvre de telles réformes fiscales par crainte d’une forte opposition du public. L’annulation de la hausse planifiée pour la taxe carbone face au récent mouvement des Gilets jaunes en constitue une parfaite illustration. Comme toute taxe indirecte, la fiscalité écologique réduit le pouvoir d’achat des consommateurs et affecte a priori la croissance et l’emploi. Elle est en outre régressive, c’est-à dire qu’elle pénalise relativement plus les consommateurs pauvres que les consommateurs riches, car les biens polluants sont souvent indispensables, comme les carburants pour le transport ou les combustibles pour le chauffage. Néanmoins, pour être complète, toute analyse des effets de la fiscalité écologique sur les inégalités doit aussi prendre en compte ses impacts sur le niveau de l’emploi et du chômage via la formation des salaires. La redistribution des recettes fiscales issues de l’instauration ou de la hausse d’une taxe écologique peut permettre la baisse des taux de prélèvements existants sur le travail qui exercent de fortes distorsions fiscales. L’amélioration de l’efficacité économique qui peut en résulter est désignée par le terme de « dividende économique ». Il s’ajouterait alors au « dividende environnemental » qu’est la réduction des émissions polluantes, provenant des substitutions entre produits ou activités polluants et non polluants. L’obtention de ces deux dividendes simultanés est la situation dite de « double dividende » au sens fort selon Goulder (1). Ce double dividende n’est pas garanti en toutes circonstances et dans tous les pays, mais il est d’autant plus vraisemblable que les distorsions fiscales sont importantes, que les défaillances ou imperfections de marché sont nombreuses, et que par exemple le chômage est élevé.
Est-il possible de réconcilier fiscalité écologique et justice sociale ? Peut-on proposer un verdissement de la fiscalité qui, sans compromettre la réduction recherchée des comportements polluants, n’aggrave pas les inégalités ? Dans cet article, Diane Aubert et Mireille Chiroleu-Assouline analysent cette question à l’aide d’un modèle théorique stylisé d’équilibre général. Les ménages hétérogènes diffèrent seulement par leur niveau de qualification et donc par leur salaire. Les biens polluants et non polluants sont produits selon une technologie combinant travail qualifié et non qualifié. Tous les ménages consomment les deux biens mais les ménages pauvres consacrent une part plus importante de leur revenu aux biens polluants. Le gouvernement finance des dépenses publiques exogènes et les indemnités chômage en imposant un taux de taxe sur la consommation du bien polluant et des prélèvements progressifs sur le travail. Le risque de chômage est supposé peser sur les seuls travailleurs peu qualifiés. Cet article montre qu’un verdissement de la fiscalité peut aboutir à l’obtention d’un double dividende bénéficiant davantage aux ménages aux plus faibles revenus qu’aux plus riches, grâce à la redistribution des recettes de la taxe écologique sous la forme d’un allègement de la fiscalité sur le travail qui renforce sa progressivité. En calibrant le modèle pour la France, les auteures montrent qu’il est possible d’obtenir un tel résultat dans des limites relativement étroites : il faut consacrer au moins 70% des recettes à la baisse des prélèvements sur le travail moins qualifié pour rendre le verdissement de la fiscalité progressif, mais si plus de 80% des recettes y sont dévolues, c’est le dividende environnemental qui est sacrifié. Ces chiffres devraient naturellement être affinés, mais ils permettent de mettre en évidence à la fois la possibilité d’une fiscalité écologique juste et l’importance pour le diagnostic de la prise en compte des conséquences des mesures de compensation sur le marché du travail.
(1) (Goulder, L. H. (1995). Environmental taxation and the double dividend : a reader’s guide. International Tax and Public Finance, 2(2):157183
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Titre original de l’article : "Environmental Tax Reform and Income Distribution with Imperfect Heterogeneous Labour Markets"
Publié dans : European Economic Review, July 2019, 116, 60-82
Disponible à : https://doi.org/10.1016/j.euroecorev.2019.03.006