La science économique au service de la société

Corruption : regards nouveaux sur un mal vieux comme le monde

Ariane Lambert-Mogiliansky : Membre associée à PSE, directrice de la Chaire ETA
Liam Wren-Lewis : Membre associé à PSE, chargé de recherche INRA
La corruption n’est pas un phénomène moderne. Près de vingt siècles avant notre ère, le Code de Hammurabi en Iraq faisait explicitement référence à des pots-de-vin et aux peines encourues. L’Arthashâstra indien du troisième siècle avant J-C dressait quant à lui une liste des pratiques de corruption et des châtiments associés. Au fil des siècles, la sphère d’intervention de l’Etat s’est développée de manière spectaculaire – et les occasions de pratiquer la corruption se sont multipliées. Si la corruption est vieille comme le monde, la nécessité de la contenir l’est aussi. Aujourd’hui les sciences économiques possèdent des instruments puissants pour mieux comprendre les interactions complexes qui la rendent possible, mais aussi les mécanismes qui peuvent permettre de la combattre. Les avancées spectaculaires dans le traitement des données sont aussi mises à contribution pour tester et approfondir nos connaissances.

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Reconnaissant l’importance et l’ampleur des enjeux, l’École d’économie de Paris a créé en 2011 la Chaire ETA, dont voici quelques exemples de travaux récents :
Les codes d’éthique développés par les entreprises sont-ils efficaces ?
Ces codes stipulent un engagement explicite de l’entreprise à ne pas participer à la corruption : est-ce juste de la « com » ? Ou bien a-t-on raison d’en attendre un effet réel ? Dans un article récent (1), il est montré que si l’engagement unilatéral n’a aucun effet sur les incitations réelles des entreprises en concurrence sur un marché public, un mécanisme d’engagement conditionnel – c’est-à-dire qu’une firme s’engage mais cet engagement n’est effectif que si les autres firmes s’engagent également – peut-être très efficace pour réduire voire même éliminer la corruption.
Les nouvelles technologies peuvent-elles permettre de lutter contre la corruption ? Elles transforment les prémisses de la gouvernance démocratique et peuvent être un levier d’action. Un projet en cours (2) faisant appel à des notions de jeux de communication et de persuasion, montre en effet qu’un débat bien structuré entre le décideur public et les usagers via une plateforme Internet peut guider l’utilisation de ressources de vérification minimale pour des résultats remarquables en terme de prévention de la corruption.
Dans un contexte de « gouvernance faible », la corruption compense-t-elle les inefficacités de la bureaucratie ?
Cet argument est souvent mis en avant par les entreprises. Qu’en est-il en réalité ? Une étude empirique récente (3) apporte de nouveaux éléments à ce débat.
L’étude développe une méthode nouvelle pour mesurer les paiements illégaux faits aux politiques par les entreprises en Russie. En moyenne 2,5 millions de dollars sont versés aux politiques à chaque élection régionale. L’étude rejette sans équivoque l’hypothèse selon laquelle la corruption permet aux bonnes entreprises de passer outre les lourdeurs bureaucratiques : dans les régions corrompues, ce sont les firmes inefficaces qui obtiennent les contrats publics.
Dans un contexte de corruption, est-il préférable que le pouvoir de décision appartienne à des régulateurs indépendants ou bien à des fonctionnaires proches du pouvoir politique ?
D’un côté il est plus facile pour le régulateur indépendant de dissimuler (au pouvoir politique) ses décisions de corruption. De l’autre côté, un ministre ayant plus d’influence, les conséquences de la corruption du pouvoir politique sont plus profondes. Étudiant cette question dans le cas de régulation du marché de l’électricité en Amérique latine, un article récent (4) détaille que les entreprises sont moins souvent engagées dans la corruption quand leurs interlocuteurs sont des fonctionnaires appartenant à une administration indépendante du pouvoir politique.
Quel est le coût de la corruption à long terme ? Les décisions résultant d’accords de corruption peuvent avoir des effets sur la structure socioéconomique d’un pays, en particulier par le biais des attentes des acteurs économiques. Ces questions ont été très peu étudiées. Une contribution récente (5) s’intéresse à l’impact de la corruption sur le choix d’orientation des étudiants dans les pays riches en pétrole. On trouve que, dans les pays relativement peu corrompus, la découverte de pétrole donne lieu à un afflux d’étudiants vers les domaines de l’ingénierie et de la construction, relativement au droit et aux sciences sociales. Dans les pays les plus corrompus, la réponse des étudiants est inverse, ce qui reflète les attentes d’opportunité dans la recherche de rentes liée à l’exploitation du pétrole. Ainsi le profil de compétence du pays reflète-t-il le niveau de corruption avec des conséquences profondes pour le développement.

La crise de ces dernières années a renforcé la défiance des citoyens vis-à-vis de la corruption, du gâchis et des inégalités qui l’accompagnent. PSE-École d’économie de Paris et la Chaire ETA sont déterminées à répondre à ces questionnements par une intensification de la recherche et de la formation dans le domaine de l’économie de la corruption.
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(1) « Committing to Transparency to Resist Corruption » (2012) F. Koessler et A. Lambert-Mogiliansky, Paris School of Economics and CNRS, Journal of Development Economics 100, 117-126.
(2) « Social Accountability : Persuasion and Debate to Contain Corruption » (2013) A. Lambert-Mogiliansky, PSE WP n°2013 - 42.
(3) « Corruption in Procuremnt : Evidence from Financial Transaction Data » (2014), E. Zhuravskaya, Mémo n°7 Chaire ETA.
(4) « Do infrastructure reforms reduce the effect of corruption ? Evidence from Latin America and the Caribbean » (forthcoming) L. Wren-Lewis PSE, World Bank Economic Review.
(5) « On the allocation of talented people in developing countries : the role of oil rents » (2012), C. Ebeke, L. Désiré Omgba, R. Laajaj, EconomiX Working Papers 2012-26, University of Paris West - Nanterre la Défense, EconomiX.


Article issu de la Lettre PSE n°17 :

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