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La diversité est-elle bonne pour la croissance ?

Hillel Rapoport, La diversité est-elle bonne pour la croissance ?

Membre associé à PSE, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

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La diversité est-elle bonne pour la croissance ? On peut poser la question à plusieurs niveaux : la diversité de quoi, et la performance de qui ? La littérature s’est intéressée à différents types de diversité (ethnique, linguistique, génétique, de genre, de lieux de naissance, d’opinions) et à plusieurs lieux d’expression de celle-ci : l’entreprise (voire l’atelier de production), l’école, la ville, la région, la nation. Selon la dimension retenue, la balance entre coûts (1) et bénéfices (2) peut pencher d’un côté ou de l’autre. Que nous dit la littérature empirique ?
Dans les grandes lignes, la diversité ethnique présente le bilan le plus négatif. Par exemple, Hjort (2014) compare la productivité des ateliers de production d’une firme horticole au Kenya et montre que les plus homogènes ethniquement jouissent d’une prime de performance significative. De même, les études sur données agrégées mettent en évidence un effet négatif de la fragmentation ethnique sur la performance économique nationale, particulièrement en Afrique - mais pas uniquement.
Pourquoi en irait-il autrement de la diversité des lieux de naissance (ou « birthplace diversity ») ? Statistiquement, l’essentiel de la diversité ethno-linguistique (3) doit très peu à l’immigration. Conceptuellement, on s’attend à ce que d’éventuelles complémentarités productives se manifestent d’autant plus que les individus concernés sont issus de contextes culturels et de systèmes scolaires différents, a fortiori si l’on a affaire à des individus éduqués (porteurs de « qualifications » potentiellement complémentaires de celles des natifs). Si les bénéfices de la diversité devaient l’emporter sur les coûts, cela devrait donc se produire dans les économies les plus avancées et pour la frange la plus qualifiée de la force de travail. On ne compte plus les études sur données d’entreprises qui vérifient ces propositions. Est-ce également le cas à un niveau agrégé ? C’est l’objet de notre recherche (Alesina et al., 2013), résumée ici en trois étapes.
La première consiste à créer, à partir des données d’immigration, un indicateur de diversité de la population qui indique la probabilité pour un pays donné que deux individus résidents tirés au hasard soient nés dans des pays différents. Cet indicateur fait ensuite l’objet d’une décomposition statistique entre une marge extensive, la part de la population née à l’étranger, et une marge intensive capturant la diversité de la population immigrée.
La seconde étape consiste à insérer ces indicateurs de taille et de diversité de l’immigration dans des modèles explicatifs des niveaux de prospérité économique, tout en contrôlant pour de nombreuses autres variables : la diversité ethnique, linguistique et génétique, le niveau de sélectivité de l’immigration, l’ouverture et la diversité commerciale, les caractéristiques géographiques et institutionnelles, etc. Il en ressort un effet positif, robuste, statistiquement et économiquement significatif, de la diversité de l’immigration qualifiée sur les niveaux de revenu, de productivité et d’innovation des pays riches.
Enfin, la troisième étape porte sur le fait de savoir si nos résultats peuvent recevoir une interprétation « causale ». En effet, on peut imaginer une causalité inverse, ou encore que prospérité économique et diversité de l’immigration n’aient pas de liens directs mais soient conjointement déterminées par une variable « omise » (par exemple, la capacité multidimensionnelle que peut avoir un pays à tirer parti de la mondialisation).
La solution retenue est d’avoir recours à un modèle de gravité permettant de prédire les flux de migration bilatéraux à partir de variables exogènes (4). Sur cette base, on peut construire pour chaque pays un indicateur de diversité prédite et substituer celui-ci à la diversité observée dans notre modèle empirique. Les résultats obtenus confortent l’idée que la diversité de l’immigration qualifiée a bien un effet positif sur les niveaux de revenus et de productivité des économies avancées.
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(1) Difficultés à communiquer ou à collaborer, du fait par exemple d’un manque de confiance entre membres de groupes culturellement distants
(2) Complémentarités des aptitudes, des savoirs et qualifications
(3) Par exemple noirs/blancs aux Etats-Unis, flamands/wallons en Belgique, ou les mosaïques ethniques des pays africains
(4) Principalement des variables géographiques bilatérales telles que la distance, l’existence d’une frontière commune, etc.
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Références : Alesina, A., J. Harnoss and H. Rapoport (2013).“Birthplace diversity and economic prosperity”. IZA Working Paper No. 7568, August.
Hjort, J. (2014), « Ethnic Divisions and Production in Firms. » Quarterly Journal of Economics, 129, 4 : 1899-1946.