La science économique au service de la société

Le mythe de l’austérité, par Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul, Le mythe de l’austérité

Membre associé à PSE, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, titulaire d’une Chaire PSL

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Le brutal remaniement ministériel qui a marqué la rentrée a fait suite à d’acerbes critiques de la part de la gauche du PS contre la politique « d’austérité » que suivrait le gouvernement. Faut-il abandonner l’orthodoxie budgétaire imposée, selon certains, par l’Allemagne et Bruxelles, afin de relancer la machine économique ? Les coupes sombres promises par le gouvernement dans les dépenses publiques ne vont-elles pas nous enfoncer dans la récession, à travers les redoutés mécanismes du multiplicateur keynésien ? Pire, ces politiques ne sont-elles pas contre-productives, au sens où leur effet négatif sur l’activité pourrait aggraver l’état des finances publiques au lieu de l’améliorer ?
Il est pourtant difficile de caractériser comme « austère » la politique suivie. Le déficit public se situe à 4.5 % du PIB pour 2013, et le chiffre de 2014 risque d’être comparable ; en 1997, il s’établissait à 3,3% du PIB, soit plus d’un point au-dessous du déficit actuel. Les taux d’intérêts de la Banque Centrale Européenne sont extrêmement faibles, et ses interventions permettent au trésor français d’emprunter sur un an à un coût de 15 points de base soit 0,15 %, c’est-à-dire, après déduction de l’inflation, à un taux d’intérêt réel négatif. En 1998, le taux d’intérêt à un an sur les bons du trésor était de 3,65 % pour une inflation de 1,3 % : le taux d’intérêt réel sur les bons du trésor français était donc de 2,3 %, soit environ trois points de plus qu’aujourd’hui. Par ailleurs, au premier semestre de 1998, le taux de chômage au sens du BIT était quasiment le même qu’aujourd’hui, soit un peu moins de 10 % de la population active. On voit donc qu’avec le même taux de chômage, soit en gros le même niveau de dépression de l’activité, les autorités suivent une politique macroéconomique bien plus expansionniste en 2014 qu’en 1998.
La politique macroéconomique n’est donc pas austère si on la compare à l’expérience de ces dernières décennies, et elle l’est d’autant moins si on prend en compte que les possibilités de relance sont de plus en plus faibles, parce que les conséquences d’une expansion fiscale sont nettement plus dangereuses que par le passé à cause du niveau record de la dette publique. Si l’on en croit les dernières prévisions, celle-ci devrait crever le plafond symbolique des 100 % du PIB avant la fin de cette législature. Les tentatives de relance au cours des deux crises significatives précédentes se sont à chaque fois traduites par une très rapide augmentation de la dette publique (aussi bien en 1993-95 qu’en 2008-11), ce qui a contribué à la crise de la dette souveraine des pays de la zone euro, dont nous sommes à peine en train d’émerger.
Le fait que la demande intérieure soit faible (comme en témoigne le fléchissement de l’inflation et de divers indicateurs du climat des affaires), n’implique pas pour autant que l’Etat ait la capacité de la relancer. Une des raisons pour laquelle la demande est faible est que les entreprises et les ménages craignent une hausse future de la pression fiscale, et que sa nature reste incertaine. En d’autres termes c’est l’anticipation par les agents que les problèmes d’offre risquent de s’aggraver à l’avenir, qui déprime la demande aujourd’hui. Un dérapage des déficits au-delà du niveau actuel (déjà élevé) de 4,5 points de PIB, au nom d’une sortie de l’austérité, pourrait conduire à une remontée rapide des taux sous l’effet de la nervosité des investisseurs étrangers ; celle-ci se conjuguerait avec une baisse de la consommation et de l’investissement, les acteurs privés anticipant des ajustements douloureux comme l’ont connu la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Au total l’abandon de l’austérité n’aurait servi qu’à raviver la crise des finances publiques, sans être capable de relancer l’économie.
Pour mener une politique raisonnable de stabilisation keynésienne, il faut se ménager la marge de manœuvre nécessaire. Cela signifie accumuler des réserves budgétaires en périodes de boum pour accroître les déficits en période de crise. Or les administrations publiques ont été en déficit chaque année depuis 1976, sans exception. Les gouvernements successifs ont ainsi dilapidé leur capital de relance en préférant dépenser leurs prétendues « mannes » et autres « cagnottes » fiscales plutôt que d’accumuler des excédents. Pour cette raison, malgré l’anémie de l’économie, renoncer à l’austérité ne figure plus au menu.


Ce texte est issu de la Lettre trimestrielle PSE n°19 :

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