La science économique au service de la société

Eric Monnet (PhD 2012), lauréat du prix Alexander Gerschenkron 2013

Le prix Alexander Gerschenkron est décerné chaque année par l’association américaine d’histoire économique (Economic History Association, EHA). Il récompense la meilleure thèse portant sur l’histoire économique d’un ou plusieurs pays, hors Canada et États-Unis ; le prix Allan Nevins récompense quant à lui une thèse sur l’histoire économique du Canada ou des États-Unis (le lauréat 2013 et Josh Hausman).
Trois finalistes pour ce prix sont invités à présenter leur thèse au congrès annuel de l’EHA, qui se tenait cette année à Washington DC, et où sont présents un grand nombre d’historiens économistes du monde entier. L’EHA accorde beaucoup d’importance à la mise en valeur des jeunes docteurs : la présentation des thèses est la seule session, avec la conférence inaugurale du président, à laquelle assistent tous les participants du congrès et de longs résumés des thèses finalistes sont ensuite publiés dans le Journal of Economic History. Le vainqueur du prix est ensuite annoncé au cours du dîner de gala, ainsi que les prix des meilleurs livres et articles en histoire économique. Les lauréats sont invités à prononcer un discours de remerciements. Cette année, un ancien étudiant de PSE, Eric Monnet (PhD 2012) est le lauréat de ce prix A. Gerschenkron. Interview.
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Comment s’est déroulée cette cérémonie de l’EHA ?

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Eric Monnet : Ce fut une expérience impressionnante et très enrichissante pour moi. La présentation des thèses et la cérémonie offrent des occasions uniques de faire connaître son travail à plusieurs centaines de personnes dans le champ de l’histoire économique, dont les plus grands spécialistes de la discipline. On reçoit ensuite de très nombreuses félicitations et des sollicitations de la part de prestigieux éditeurs internationaux pour publier des articles et un livre issu de la thèse. Il est aussi très gratifiant pour un jeune docteur de recevoir un tel prix lorsqu’on s’est formé pendant ses études en lisant les travaux de certains des anciens lauréats de ce prix !

Pourriez-vous nous présenter plus en avant vos travaux ?

Ma thèse, réalisée sous la direction de Pierre-Cyrille Hautcoeur portait sur la politique du crédit et la politique monétaire en France pendant la période dite des Trente glorieuses (1945-1973). Les analyses de cette période donnent souvent lieu à des combats idéologiques dont il est difficile de s’extraire : les adversaires de l’intervention de l’État affirment que les succès de cette période sont attribuables à un phénomène naturel de rattrapage économique, alors que les défenseurs du rôle fort de l’État dans la politique économique lui en attribuent au contraire les réussites économiques.
Une des raisons expliquant la difficulté de sortir de ces débats polarisant est que la théorie économique standard est peu adaptée pour comprendre une période qui fut réellement singulière et exceptionnelle sur le plan économique et institutionnel.Un des apports de ma thèse fut donc de construire des outils économétriques et théoriques nouveaux permettant de prendre en compte ces singularités, et ainsi mieux comprendre le fonctionnement de l’économie de cette période, dans le domaine de la politique monétaire et des politiques financières ou de crédit. Je montre en particulier le rôle très important de la Banque centrale dans les politiques de crédit et d’investissement. Je vais aussi à l’encontre de l’idée très répandue selon laquelle la banque centrale aurait eu un rôle mineur pendant cette période et se serait contenté de laisser filer l’inflation et de financer les déficits gouvernementaux. Cette image, construite a posteriori, est largement fausse et a contribué à occulter le rôle réel (pour l’allocation du crédit, la stabilité financière, le maintien d’une inflation modérée) des banques centrales pendant cette période et à justifier l’idée, devenue consensuelle avant la crise, qu’il n’y aurait qu’un modèle possible de « bonne » politique monétaire.
Un autre enjeu de ma thèse était également d’articuler l’analyse quantitative et théorique avec l’analyse institutionnelle et juridique et l’histoire de la pensée économique. Bien qu’étant un travail d’histoire économique, ma thèse a aussi des implications sur la façon de penser les politiques monétaires actuelles dans un contexte où les théories et instruments considérés comme standards ont montré leurs limites, et où les banques centrales utilisent leur bilan plutôt que les taux d’intérêt pour influer sur l’économie. Il ne s’agit évidemment pas de chercher dans l’histoire un quelconque modèle, et encore moins de prôner un retour au passé, mais l’histoire économique offre des clés de compréhension et permet de relativiser les discours nous annonçant qu’un seul type de régulation économique est possible.

Quel est votre parcours académique passé…et comment envisagez-vous le futur ?

J’ai soutenu ma thèse en septembre 2012 à PSE-École d’économie de Paris et l’EHESS. J’ai ensuite effectué une année de post-doctorat en économie monétaire à l’Université de Gand en Belgique tout en étant chercheur associé au think tank européen Bruegel, où j’ai pu continuer à travailler sur les implications actuelles de ma recherche historique.
Depuis début octobre 2013, je suis économiste-chercheur à la Banque de France. Je continue mon travail sur la période 1945 – 1980, en étendant mon analyse à d’autres pays européens et en analysant le fonctionnement du système de Bretton Woods. Une autre question issue de ma thèse sur laquelle je poursuis mon étude est le financement de l’État par la banque centrale. Je commence également à la Banque de France des recherches sur le marché du logement, toujours dans une perspective historique et en lien avec des questions politiques actuelles. A partir de février 2014, j’enseignerai un cours de master en histoire économique à l’École d’économie de Paris (PPD).