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Optimisme entrepreneurial, jugement subjectif et biais de sélection

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Philippe Jehiel

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De nombreuses enquêtes établissent que les jeunes entrepreneurs sont anormalement optimistes sur les chances de succès de leurs entreprises. Par exemple, Cooper et ses co-auteurs (1) rapportent que 81% des entrepreneurs novices aux Etats-Unis pensent que leur entreprise a plus de 70% de chances de réussir alors que la vraie proportion est de seulement 39%. De telles observations sont généralement invoquées pour motiver l’hypothèse de biais d’optimisme faite dans de nombreux modèles de finance comportementale. Une question importante est de connaître les motifs de ce biais. Résulte-t-il de caractéristiques spécifiques aux entrepreneurs qui les aident à mieux réaliser leurs projets, auquel cas il n’est peut-être pas souhaitable de l’éliminer ? L’optimisme est-il un biais universel de l’espèce humaine ? Dans ce cas il est sans doute difficile à supprimer ? Ou encore peut-on expliquer l’optimisme comme résultant d’un traitement erroné des données accessibles aux entrepreneurs ? Auquel cas on peut se demander comment mieux informer les acteurs économiques afin qu’ils corrigent ce biais (2).

Dans cet article, Philippe Jehiel propose un modèle théorique dans lequel le biais d’optimisme résulte du traitement naïf des données par les entrepreneurs. Plus précisément, chaque entrepreneur doit décider sur la base d’une impression initiale s’il s’engage ou non dans la réalisation de son projet. Pour l’aider à prendre sa décision, il a accès aux données relatives aux projets passés qui ont été développés. L’heuristique suivie par les entrepreneurs, soit ici la façon d’analyser les faits et de prendre une décision, consiste à regrouper les projets réalisés leur procurant la même impression et à poursuivre leur projet si la performance moyenne observée dans ces projets en excède le coût. L’heuristique est sujette à un biais de sélection car seuls les projets réalisés sont accessibles. L’auteur souligne le caractère endogène, c’est-à-dire déterminé par l’équilibre de ce processus, de ce biais dans la mesure où la distribution des projets réalisés qui le façonne est elle-même façonnée par celui-ci. Il en résulte un biais d’optimisme et un trop grand nombre de projets réalisés dès lors que les impressions ne sont pas parfaitement corrélées entre entrepreneurs et que de meilleurs projets se traduisent par de meilleures impressions. Philippe Jehiel note qu’être entouré par des investisseurs moins biaisés (car peut-être plus expérimentés) aggrave le biais d’optimisme suggérant ainsi une externalité négative exercée par les investisseurs plus expérimentés. Le biais d’optimisme est réduit si les entrepreneurs ont aussi accès aux projets non-réalisés (ce qui est souvent difficile) ou s’ils se basent davantage sur les projets mis en œuvre par des investisseurs ayant des impressions plus corrélées avec les leurs.

(1) Cooper A., C. Woo, and W. Dunkelberg (1988) : Entrepreneurs perceived chances of success, Journal of Business Venturing 3, 97-108
(2) Au même titre, par exemple, que les économètres informent les chercheurs appliqués sur la façon d’éviter les biais dans leurs estimations

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Titre original de l’article académique : « Investment Strategy and Selection Bias : An Equilibrium Perspective on Overconfidence »
Publié dans : CEPR Discussion Paper No. DP10868
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