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Comment les inégalités affectent-elles les modèles économiques ?

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Morten Nyborg Støstad (master APE)

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La plupart des modèles économiques partent de l’hypothèse que les individus ne sont pas affectés par les inégalités environnantes. Or, des recherches récentes montrent qu’il est peu probable que ce soit effectivement le cas. Les inégalités semblent au moins influencer certains facteurs dont nous nous soucions individuellement tels que la criminalité, la santé, l’instabilité politique, etc. Par conséquent, vivre dans une société très inégalitaire pourrait avoir une incidence directe sur nos vies. En outre, si les modèles économiques partent du postulat inverse, les propositions de politiques publiques sont par conséquent susceptibles d’être biaisées ou incomplètes.
Ce travail théorique réalisé par Morten Nyborg Støstad s’intéresse à cette problématique et révèle comment certains modèles économiques sont affectés si les inégalités concernent toute la population. En dépit des enjeux politiques qu’ils représentent, les effets sociétaux des inégalités sont ignorés dans pratiquement tous les modèles économiques de base (1). Ainsi, il se pourrait, par exemple, que la répartition inégale des revenus soit la cause du populisme et des troubles sociaux que l’on constate aux États-Unis, au Chili et en Europe occidentale. Les conséquences en termes de santé, le taux de criminalité, l’innovation et bien d’autres variables encore pourraient également être influencés par les inégalités, que ce soit de manière positive mais aussi négative.

Dans cet article, Morten Nyborg Støstad soutient que la non prise en compte des effets sociétaux des inégalités dans les modèles économiques relève d’une erreur de modélisation. En outre, il traite les inégalités comme une externalité économique pour introduire ce concept au sein de deux modèles fiscaux théoriques de référence. Ces deux modèles s’appuient sur des modèles simplifiés de nos sociétés pour illustrer différentes porpositions de politique publique. Le premier modèle permet de déterminer le niveau optimal d’imposition sur le revenu. La solution proposée par Morten Nyborg Støstad est de faire de l’égalité un facteur déterminant en matière de politique publique. En résumé, si les inégalités ont des effets sociétaux délétères, les taux d’imposition devraient être bien plus progressifs que ceux préconisés par les économistes jusqu’ici. Ce constat est d’autant plus important pour le sommet de la répartition des revenus que, dans les tranches les plus élevées, les taux d’imposition optimaux dépendent en grande partie des nouveaux effets d’égalité. Au moment de concevoir les taux d’imposition les plus élevés, les responsables politiques devraient se concentrer davantage sur les effets sociétaux des inégalités plutôt que sur les recettes fiscales. Cette idée contraste nettement avec la pensée économique passée, qui s’intéressait principalement, si ce n’est entièrement, aux effets de l’imposition sur les recettes fiscales.

Le modèle d’Arthur Laffer en est une bonne illustration : en 1974, il dessina sur une serviette en papier l’esquisse d’une courbe de recettes fiscales à Dick Cheney et Donald Rumsfeld. La courbe Laffer sert depuis de guide pour l’élaboration de politiques fiscales raisonnables. Ainsi, les politiques fiscales qui imposent au-delà de ce qu’Arthur Laffer appelle le taux de maximisation des recettes sont souvent considérées comme sous-optimales. Cependant, si notre objectif est de réduire les inégalités, cela n’est plus avéré. Ainsi, les taux optimaux d’imposition, compte tenu des effets négatifs sur l’égalité, peuvent dépasser les taux de maximisation des recettes fiscales. Le modèle d’imposition sur le revenu de Morten Nyborg Støstad reflète ce constat et fait remarquer que les taux d’imposition des plus hauts revenus devraient largement être réévalués.

Le second modèle porte sur la taxation optimale des marchandises. En prenant en compte les répercussions des inégalités au sein des sociétés dans son modèle, Morten Nyborg Støstad montre que le célèbre théorème d’Atkinson-Stiglitz, qui préconise une taxation uniforme des marchandises, ne tient plus (2). Au lieu de cela, de nouveaux résultats indiquent que nous devrions taxer les biens en fonction des tranches de revenus qui les consomment le plus - si les inégalités sont un mal social, les biens de luxe devraient être taxés davantage et les produits de première nécessité moins.

Globalement, Morten Nyborg Støstad soutient que les effets des inégalités sur l’individu sont essentiels, mais largement négligés, et qu’ils doivent faire l’objet d’une étude plus approfondie.

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Références

(1) Cette affirmation est démontrée théoriquement dans l’article. Il existe, dans la théorie économique classique, deux critiques principales contre les inégalités. La première veut que si votre sixième maison vous rend heureux, elle vous rend moins heureux que la première. Il est donc justifié de redistribuer les maisons - et les revenus - de manière égale. La deuxième critique s’appuie sur les risques de favoritismes dans les actions publiques. Si les politiques publiques sont conçues principalement pour les pauvres, les inégalités sont fondamentalement préjudiciables. Bien que ces deux effets incitent à la redistribution, les effets sociétaux de l’inégalité ne sont pas pris en compte dans aucun des deux écoles de pensée.

(2) Ce théorème stipule que, dans l’hypothèse où il n’y a pas d’externalités, tous les biens de consommation devraient être taxés au même taux. La TVA est un exemple d’une telle taxe. Puisque les inégalités sont une externalité dans le modèle de Morten Nyborg Støstad, la taxation optimale des marchandises n’est plus uniforme. Le résultat initial est tiré de Atkinson et Stiglitz (1976).

Titre du mémoire de master : Inequality as an Externality : Existence and Consequences
Sous la direction de : Daniel Waldenstrom
Disponible sur : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02407577

Crédit photo : Sengerg (Shutterstock)