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L’État doit-il prendre en compte les spécificités régionales lors de la définition de la taxe carbone ?

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Ibrahim Ahamada, Mouez Fodha et Djamel Kirat

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Depuis 2014 et à l’instar de nombreux pays européens, la France a mis en place une taxe sur les émissions de carbone, en complément du marché des permis d’émission négociables. Quelles sont les conséquences distributives de cette taxe ? Les contestations sociales récurrentes (à l’origine du mouvement des gilets jaunes par exemple) témoignent du fait qu’une taxe environnementale peut difficilement être mise en place sans une redistribution adéquate des recettes, visant à accroître son acceptabilité (1).

Cet article examine dans quelle mesure les spécificités géographiques peuvent exacerber les propriétés régressives d’une telle taxe. Ibrahim Ahamada, Mouez Fodha et Djamel Kirat utilisent des données statistiques relatives aux 22 régions administratives françaises sur la période 1995-2009. L’étude met en lumière de fortes hétérogénéités régionales : l’écart entre les températures annuelles moyennes atteint 6 °C, tandis que la différence dans le nombre de jours maximal de gel enregistrés dans l’année est égale à 94. Ces caractéristiques ayant des conséquences importantes sur la consommation d’énergie des ménages, une taxe carbone uniforme impliquerait des différences géographiques dans la charge fiscale, ce qui pourrait accroître les inégalités entre les ménages. Ce risque est d’autant plus important que certaines des régions les plus pauvres sont aussi les plus froides et que la mobilité géographique des ménages français est relativement faible. Le premier objectif des auteurs est de mesurer les effets des déterminants macroéconomiques et climatiques de la demande d’énergie des ménages, et donc de leurs émissions de CO2. Les résultats montrent que les émissions de CO2 augmentent avec le PIB et le nombre de jours de gel ; cette relation est décroissante s’agissant de la température, des technologies de chauffage et des prix de l’énergie. Le second objectif des auteurs est de mesurer les conséquences d’une taxe carbone (équivalente à 22€/tonne CO2, soit son niveau en 2016) sur les régions françaises. Ils montrent que cette taxe conduit à des différences importantes dans la charge fiscale, mesurée par le ratio « recettes fiscales rapportées au PIB » dans chaque région. Ainsi, la région la plus riche, l’Île-de-France, serait la plus faible contributrice (0.05% de son PIB), alors que la Lorraine contribuerait le plus (soit 0.15% de son PIB). Ils en déduisent qu’une réforme de la fiscalité environnementale doit s’accompagner d’une redistribution spécifique entre les régions. Les auteurs proposent deux scénarios susceptibles de corriger ces écarts engendrés par la réforme. Le premier consiste à définir des taux de taxe régionaux afin d’égaliser les charges fiscales supportées par chaque région. Ainsi, cette taxe devrait être de 41€/tonne en Île-de-France mais seulement de 14€/tonne en Lorraine. La proposition alternative suggère d’accompagner la taxe uniforme (22€/tonne) de transferts forfaitaires interrégionaux des recettes collectées. Un ménage francilien devrait s’acquitter de 21€/an en supplément de la taxe carbone alors qu’un ménage lorrain recevrait 12€/an. Il restera au final à définir le vecteur de redistribution, tel que les subventions aux investissements verts, l’aide à la rénovation thermique, etc.

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(1) En effet, toute taxe avec une dimension environnementale est généralement régressive.

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Titre original de l’article : « Regional differences in CO2 emissions from the French residential sector : determinants and distributional consequences »

Publié dans : Revue d’économie politique 2017/3 (Vol. 127), pages 353 à 374

Disponible à : https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2017-3-page-353.htm