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Pourquoi sommes-nous trop confiants dans nos chances de réussite…et, parfois, pas assez ?

Court permalien à cet article : https://bit.ly/2P9j92K

Louis Levy-Garboua*, Muniza Askari et Marco Gazel

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Il est fréquent que des personnes surestiment leurs chances de réussite quand la tâche est difficile mais les sous-estiment quand elle est facile. Ce phénomène est qualifié par les psychologues de « hard-easy effect ». Ce comportement est-il dû à un « biais cognitif » inhérent à une rationalité limitée ? Ou révèle-t-il une phase temporaire d’apprentissage de leurs capacités par des individus rationnels qui ignorent a priori leur véritable aptitude à réussir une nouvelle tâche ?

Dans cet article, Louis Lévy-Garboua, Muniza Askari et Marco Gazel répondent à cette question en proposant un modèle de « rationalité intuitive » qui intègre les deux approches et prédit plusieurs comportements apparemment irrationnels, comme le « hard-easy effect ». Ils s’appuient également sur de riches données expérimentales qui révèlent ces comportements et confirment les prédictions du modèle.
L’expérience conçue par les auteurs s’apparente à un jeu de quitte ou double et permet de mesurer si la confiance en soi progresse plus ou moins vite que l’apprentissage. Les joueurs accomplissent une tâche, la résolution d’anagrammes, dont la difficulté s’accroît progressivement suivant trois paliers successifs. Les joueurs tentent d’abord d’atteindre le premier niveau et, s’ils y parviennent, ils se voient proposer un « quitte ou double ». La réussite à chaque niveau assure aux joueurs un gain toujours plus élevé. Néanmoins, un échec - de plus en plus probable - les conduit à un gain plus faible que celui qu’ils auraient pu obtenir s’ils avaient quitté plus tôt le jeu. Les données recueillies révèlent que les premiers succès faciles génèrent chez les joueurs un excès de confiance, et qu’ils n’apprennent pas leur véritable degré d’aptitude. Trop souvent, ils ne s’arrêtent pas à temps et subissent alors des pertes massives. A titre d’exemple, l’échantillon des joueurs qui ont continué à jouer à un niveau difficile se divise en quatre catégories : 47% sont aptes à réussir et bien calibrés, 12% sont inaptes mais calibrés, 36% sur-confiants, et 5% sous-confiants. Cependant, leurs taux d’échec respectifs sont très différents : seulement 52% pour les plus aptes bien calibrés et 57% pour les sous-confiants, contre 78% pour les moins aptes bien calibrés et 91% pour les sur-confiants !

L’explication des faits observés repose sur l’idée que les individus ne connaissant pas précisément leurs chances de réussite à une nouvelle tâche, estiment rationnellement ces dernières – c’est-à-dire suivant la théorie bayésienne — en se fiant uniquement aux faits et aux signaux qu’ils perçoivent. Or, ces signaux sont souvent subjectifs et fragiles et incluent, dans le doute où ces individus sont plongés, l’objection qu’ils perçoivent à leur propre croyance. Ainsi, un individu qui serait presque sûr de réussir une tâche facile (pour lui) abaisserait-il son estimation de ses chances de réussite après avoir entrevu la possibilité d’un échec ; et, à l’inverse, celui qui serait presque sûr d’échouer deviendrait-il plus optimiste après avoir imaginé la possibilité d’un succès. Ce balancement déclenche un « hard-easy effect » ainsi que d’autres comportements observables comme un pouvoir de discrimination limité (l’impossibilité de percevoir des différences modérées entre deux options), la tendance à surestimer la précision de son estimation (un autre aspect de la sur-confiance), la tendance à sous-réagir aux signaux (l’inertie) et à se tromper systématiquement dans ses prévisions d’effort à fournir (l’erreur de planification).

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Références
Titre original de l’article : Confidence Biases and Learning among Intuitive Bayesians
Publié dans : Theory and Decision (2018) 84, 453-482
Disponible sur : https://www.researchgate.net/profile/Louis_Levy-Garboua

Crédit photo : Prostock-studio (Shutterstock)

* Membre de PSE