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La « fuite vers la sécurité » et l’effondrement du crédit : une nouvelle histoire de la crise bancaire en France pendant la Grande Dépression

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Patrice Baubeau, Eric Monnet, Angelo Riva et Stefano Ungaro

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Comment une crise bancaire entraîne-t-elle un effondrement du crédit et une crise économique ? Les interprétations traditionnelles - fondées sur l’analyse des paniques bancaires des années 1930 aux États-Unis - ont mis en évidence le rôle des facteurs monétaires (1) et non monétaires (2). La récente crise financière a mis en exergue un mécanisme différent reposant sur la fuite vers la sécurité (3) des banques et des investisseurs, en raison de leur perception accrue du risque systémique (4). On sait maintenant que ce mécanisme n’est pas nouveau et était également à l’œuvre pendant la Grande Dépression américaine.

Dans cet article, Patrice Baubeau, Eric Monnet, Angelo Riva et Stefano Ungaro proposent une nouvelle interprétation de la crise bancaire française des années 1930, basée sur la fuite vers la sécurité. Initialement plus modérée que dans d’autres pays comme les États-Unis et l’Allemagne, la récession économique a été très persistante en France. Les recherches antérieures ont minimisé le rôle des crises bancaires, soulignant plutôt celui de l’adhésion obstinée de la France à l’étalon-or jusqu’en 1936. En l’absence de statistiques bancaires françaises avant l’introduction de la régulation en 1941, la méthode habituelle de calcul des séries de crédits et de dépôts bancaires reposait sur le bilan des quatre plus grandes banques commerciales - facilement disponible - et supposait que ces banques représentaient la moitié du secteur bancaire. Puisque ces grandes banques n’ont pas connu de difficultés en 1930 et 1931, il n’y avait pas de preuve quantitative d’une crise bancaire majeure, même si quelques historiens avaient déjà mis en évidence un nombre important de faillites bancaires. Sur la base d’un travail d’identification et de traitement d’archives approfondi, les auteurs ont réuni et harmonisé les bilans de plus de 400 banques françaises pendant l’entre-deux-guerres et enrichi cette base avec des données couvrant les Caisses d’épargne et la Banque de France. Ils montrent que la fuite vers la sécurité a été le principal mécanisme de transmission de la crise bancaire à l’économie réelle. Très asymétrique, la crise a en effet épargné les grandes banques, mais a affecté le reste du système bancaire et déclenché cette fuite vers la sécurité via le transfert des dépôts des banques vers les Caisses d’épargne et la banque centrale. Les banques n’étaient pas réglementées à l’époque alors que les Caisses d’épargne bénéficiaient d’une garantie implicite de l’État, leurs actifs étant investis exclusivement en titres publics. Comme les paniques bancaires ont principalement conduit à ce transfert des dépôts, la masse monétaire totale n’a pas diminué. Pourtant, la Banque de France et les Caisses d’épargne ont investi leurs ressources accrues en titres publics et réserves d’or. En conséquence, aucune autre institution financière n’est parvenue à remplacer le rôle du système bancaire dans le financement des entreprises. Ainsi, le total des prêts aux entreprises a fortement diminué : le ratio entre crédit et masse monétaire est passé de 40% avant la crise à 20% en 1931 et est resté à ce niveau tout au long des années 1930. Les auteurs ont ainsi démontré que l’économie française n’a pas été épargnée par une crise bancaire d’envergure pendant la Grande Dépression des années 1930.

(1) Milton Friedman et Anna Schwartz, 1963
(2) Ben Bernanke, 1983.
(3) C’est-à-dire, le déplacement des investissements d’institutions et actifs considérés comme risqués vers des institutions et actifs considérés comme sûrs.
(4) C’est-à-dire le risque d’écroulement du système bancaire dans son ensemble..

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Titre original de l’article académique : “Flight-to-safety and the Credit Crunch : A new history of the banking crisis in France during the Great Depression”

Publié dans : Centre for Economic Policy Research

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