La science économique au service de la société

Quel est le rôle de la formation des couples dans l’évolution du partage des tâches entre conjoints au cours des 20 dernières années ?

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2tEafAL

Marion Goussé Jean-Marc Robin et Nicolas Jacquemet

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Ces vingt dernières années, la participation au marché du travail des hommes comme des femmes a connu des inflexions majeures. Au Royaume-Uni, parallèlement à une augmentation importante des salaires pour les hommes et les femmes mariés au cours de la période 1991-2008, les femmes mariées ont « rattrapé » le niveau de rémunération des hommes célibataires. Cependant, le nombre d’heures travaillées en moyenne selon le genre et le statut matrimonial est resté remarquablement stable. La plupart des travaux existants tente d’expliquer ces tendances soit en fonction des décisions prises au sein des ménages suivant le partage des tâches et les choix de spécialisation, soit en fonction des changements dans la décision de se marier, qui détermine la composition des ménages - connu sous le nom de décision « d’appariement » des conjoints. Les deux dimensions sont cependant fortement liées, car les conjoints prennent différentes décisions de partage des ressources et de participation au marché du travail en fonction de leurs caractéristiques : imaginons par exemple une femme dont le niveau d’éducation est bac + 3 qui décide de se marier avec un homme très éduqué : les différences de salaire dans ce couple expliqueront en partie une participation plus forte au marché du travail de la part de l’homme, qui conduit à une spécialisation de son épouse dans les tâches ménagères. Mais si cette personne décide de se marier avec un homme dont le niveau d’éducation est égal ou inférieur au sien, les différences de salaire seront atténuées, ainsi que la tendance à la spécialisation à l’intérieur du ménage. Les décisions de mariage influencent donc – et peuvent être conditionnées par – les décisions prises par les ménages en fonction du marché du travail.

Pour compléter les recherches existantes, cet article de Marion Goussé, Jean-Marc Robin et Nicolas Jacquemet (1) s’appuie sur un cadre existant (2) afin de mettre en relation les décisions de participation au marché du travail et les décisions en matière de mariage. L’enjeu de cette étude est d’identifier et d’évaluer les mécanismes à l’œuvre lorsqu’aucune information sur la production des ménages (temps de travail domestique, partage des taches) n’est disponible - comme c’est souvent le cas dans les enquêtes sur le marché du travail dans la plupart des pays. Plus précisément, les auteurs mettent en lumière trois mécanismes principaux qui pourraient expliquer ces changements. Tout d’abord, la composition de la population active a changé, via notamment le niveau de scolarité qui a augmenté au cours des deux dernières décennies, en particulier pour les femmes : des femmes plus diplômées ont peut-être de meilleures chances de rester sur le marché du travail. Ensuite, les préférences individuelles pourraient avoir changé : si, par exemple, les femmes attachent moins d’importance au fait de rester à la maison en raison d’une évolution des normes sociales, cela peut entraîner un changement dans leur niveau de participation au marché du travail. Enfin, l’homéophilie, c’est-à-dire la tendance des femmes et des hommes à se marier avec leur « égal » (en termes de formation, d’emploi ou de valeurs) pourrait également avoir changé au fil du temps, ce qui donne lieu à différents assortiments et donc à différentes décisions sur le marché du travail. Les résultats montrent que ce sont les préférences qui sont au cœur des changements observés dans l’offre de main-d’œuvre. Si l’on considère la situation qui aurait résulté de l’absence de ces changements de préférences, la participation au marché du travail de la part des femmes et des hommes célibataires serait beaucoup plus élevée que celle qui effectivement observée, car la préférence pour les loisirs a augmenté pour toutes et tous au fil du temps. Par ailleurs, l’intensité de l’homéophilie explique les changements dans les décisions de mariage. En l’absence de cette variation, moins de mariages auraient eu lieu en particulier entre individus fortement diplômés, et il y aurait beaucoup plus de célibataires parmi les travailleurs percevant de hauts salaires et ceux qui sont fortement diplômés.

(1) Ce papier a été présenté comme Adam Smith invited lecture lors du congrès 2015 de l’European Association of Labour Economics
(2) Pour en savoir plus : https://www.researchgate.net/publication/291486169_Marriage_Labor_Supply_and_Home_Production

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Titre original de l’article académique : « Household Labour Supply and the Market in the UK, 1991-2008 »
A paraître dans : Labour Economics 46, 131-149
Téléchargement : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0927537117301069
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