La science économique au service de la société

Effets des famines : le cas du siège de Paris (1870-1871)

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Denis Cogneau et Lionel Kesztenbaum

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Il est avéré que l’alimentation a un impact sur la santé, mais la question subsiste de savoir précisément comment et pour combien de temps. Les premières années de la vie sont considérées comme critiques : la nourriture reçue pendant l’enfance ou in utero conditionne la croissance physique et les capacités cognitives de l’enfant ; une alimentation insuffisante pourrait alors entraîner des dommages irréparables. Ainsi, de nombreux travaux - notamment en histoire économique - considèrent la taille moyenne des populations comme un marqueur des conditions de vie durant l’enfance, mais aussi de la santé adulte. Pour évaluer ces relations, une solution consiste à étudier les crises alimentaires et les famines dans l’histoire.

Dans cet article, Denis Cogneau et Lionel Kesztenbaum analysent les conséquences du siège de Paris par les Prussiens lors de la guerre de 1870, puis celui du Paris de la Commune par les Versaillais en 1871. Ils ont rassemblé un ensemble de données provenant de l’état civil et de la conscription militaire, notamment sur l’un des arrondissements les plus pauvres de Paris, le 19e. La situation des natifs de cet arrondissement peut alors être comparée aux immigrés d’Alsace-Lorraine arrivés à Paris juste après 1871 ou aux habitants du 4e arrondissement de Lyon. Les auteurs montrent d’abord un doublement du nombre de décès pour tous les âges, alors que la mortalité était déjà très élevée en temps normal, la moitié des enfants n’atteignant pas 20 ans. De manière surprenante, aucun effet de la famine sur la taille adulte n’apparaît pour ceux qui avaient moins de cinq ans au moment du siège. La courte durée de la famine, combinée à l’amélioration continue des conditions de vie parisiennes depuis le milieu des années 1860, a permis un rattrapage rapide dès la fin du siège. Néanmoins les cohortes nées en 1870 ou 1871 ont une mortalité plus élevée entre 20 et 46 ans, ce qui semble témoigner de séquelles importantes. A l’inverse, les enfants plus âgés, ayant entre 6 et 10 ans au moment du siège, terminent très significativement plus petits, trop jeunes encore pour ne pas être affectés, mais trop vieux déjà pour profiter de l’effet de rattrapage. Ces résultats illustrent la complexité des phénomènes à l’œuvre et relativisent le lien parfois simpliste qui peut être fait entre alimentation, taille adulte, et espérance de vie.
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Cet article est dédié au Paris qui souffre, et notamment aux victimes des attentats des 7 janvier et 13 novembre 2015.
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Titre original de l’article académique : “Short and long-term impacts of famines. The case of the siege of Paris, 1870-1871”
Publié dans : PSE Working Papers n° 2016-11. 2016
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01321939

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