La science économique au service de la société

La valeur d’assurance de la biodiversité

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Emmanuelle Augeraud-Véron, Giorgio Fabbri et Katheline Schubert

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Le concept de biodiversité est large. Il renvoie à la fois au nombre d’espèces présentes dans un espace donné, mais aussi aux réseaux d’interactions entre ces espèces et à la diversité génétique, d’habitats, et d’écosystèmes. La destruction des espaces naturels et le développement des activités humaines ont été dans l’histoire consubstantiels et le sont toujours. Mais la destruction est maintenant si avancée que nous commençons sérieusement à considérer qu’elle ne peut plus continuer sans mettre en danger les activités humaines qu’elle a permis de développer. En se limitant à un point de vue strictement instrumental, la biodiversité fournit gratuitement des services dits « écosystémiques » (nourriture, eau, bois, régulation du climat, contrôle des inondations, régulation des maladies, fertilité des sols, pollinisation…) impossibles ou beaucoup trop coûteux à reproduire artificiellement. Elle a donc une valeur qu’aucun marché n’exprime, mais dont il est important de comprendre les déterminants afin de prendre des décisions de conservation informées.

Dans cet article, Emmanuelle Augeraud-Véron, Giorgio Fabbri et Katheline Schubert s’intéressent à une composante particulière de la valeur de la biodiversité : la composante assurantielle. Le modèle qui permet de comprendre les déterminants de cette valeur représente un conflit d’usage des sols. Le régulateur doit choisir quelle proportion d’un espace naturel donné convertir en terre agricole. Convertir une plus grande part de l’espace permet d’augmenter en moyenne la production de nourriture, mais s’accompagne d’un appauvrissement de la biodiversité. En retour, celui-ci affecte négativement la productivité agricole en augmentant sa volatilité autour d’un trend de croissance donné. La valeur de la biodiversité provient de sa capacité à réduire la volatilité de la productivité de l’agriculture. Par exemple, un haut niveau de biodiversité garantit une bonne résistance des récoltes aux maladies, une pollinisation naturelle, ou encore l’existence d’espèces sauvages pouvant remplacer l’espèce cultivée en cas d’atteinte épidémique sévère. Les auteurs mesurent cette valeur assurantielle de la biodiversité par le gain en bien-être procuré par la conservation de la biodiversité à son niveau optimal, par rapport à une conversion totale de l’espace à des fins agricoles. Parmi ses déterminants, les préférences des agents jouent un rôle central. L’aversion au risque, qui caractérise l’attitude face à l’incertitude, et l’aversion aux fluctuations qui, avec le taux d’escompte, caractérise l’attitude face au temps, sont distinguées. L’aversion au risque fait préférer un sentier de production agricole moins volatil. L’aversion aux fluctuations fait préférer un sentier plus « plat ». Les auteurs montrent que, conformément à l’intuition, la part de l’espace laissée à l’état naturel et la valeur de la biodiversité augmentent avec l’aversion au risque. Le rôle de l’aversion aux fluctuations est différent, ce qui justifie de séparer clairement les deux paramètres. Quand les perspectives de croissance futures sont mauvaises, une plus forte aversion aux fluctuations conduit à souhaiter une diminution de la consommation présente et une augmentation de son taux de croissance moyen. Ceci est obtenu par une hausse de la part de l’espace consacrée à la conservation de la biodiversité et une augmentation de la valeur de celle-ci. A l’opposé, quand les perspectives de croissance sont en moyenne favorables, une plus forte aversion aux fluctuations conduit à vouloir augmenter la consommation présente et diminuer son taux de croissance moyen. Il est alors optimal de diminuer la part de l’espace consacrée à la conservation de la biodiversité. L’intuition suggère que la valeur de la biodiversité doit alors baisser. Les auteurs expliquent que ce n’est pas toujours le cas. Ils montrent, dans le cas de perspectives de croissance favorables, que si la volatilité intrinsèque de la productivité agricole ainsi que l’aversion au risque sont élevées, une société devenant plus averse aux fluctuations peut de façon optimale conserver de moins en moins une biodiversité ayant de plus en plus de valeur. Il faut enfin noter qu’un calibrage illustratif du modèle montre que la valeur de la biodiversité est très sensible aux paramètres d’aversion au risque et aux fluctuations, et qu’elle peut devenir très élevée.

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Titre original de l’article académique : « The Value of Biodiversity as an Insurance Device »
Publié dans : AMSE working paper “WP 2017 - Nr 9”
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