La science économique au service de la société

Pour des « quotas échangeables d’immigration »

Jesus Fernandez-Huertas Moraga et Hillel Rapoport

JPEG - 99.1 ko

Favoriser les migrations internationales est peut-être le levier le plus efficace pour combattre la pauvreté à l’échelle mondiale. Les recherches récentes le démontrent : dans les pays en développement, les flux migratoires ont un impact positif sur la réduction de la pauvreté – soit directement, par l’extraction des migrants eux-mêmes de la pauvreté, soit indirectement par les effets induits sur leurs familles (envoi d’argent) et au-delà (effets d’équilibre général tels que la hausse des salaires en réponse aux départs). Délivrer des visas aux citoyens des pays en développement revient donc à contribuer à un bien public international. En effet, lorsqu’un pays hôte accueille des immigrants en provenance des pays pauvres, il en résulte des coûts et bénéfices pour le pays d’accueil, mais également des externalités positives pour l’ensemble des individus et gouvernements soucieux de lutter contre la pauvreté. Ceci implique que la situation actuelle est sous-optimale car ces externalités positives ne sont aucunement « internalisées » dans les politiques migratoires des pays d’accueil. Par ailleurs, passé un certain seuil, les pays hôtes tendent à limiter l’immigration du fait de ses coûts sociaux et politiques perçus. Néanmoins, ces coûts ne sont jamais mesurés et ne peuvent être comparés d’un pays à l’autre, ce qui entrave la mise en place de politiques migratoires « rationnelles » - c’est-à-dire basées sur les coûts et bénéfices réels de ces politiques.
Dans cet article, Jesus Fernandez-Huertas Moraga et Hillel Rapoport abordent ce double enjeu : comment internaliser les externalités positives (essentiellement la réduction de la pauvreté globale) issues de l’immigration vers les pays développés des travailleurs pauvres en provenance de pays pauvres ? Comment mettre en lumière les coûts et bénéfices réels pour les pays d’accueil ? Les auteurs présentent un modèle de « quotas échangeable d’immigration » (tradable immigration quotas - TIQs) qui répond à ces deux enjeux. Le premier volet est un système de quotas adapté de la littérature existante sur les permis d’émissions de CO2 (où en revanche les externalités sont négatives). Il repose sur le fait que les pays d’accueil ont des « fonctions de coûts » vis-à-vis de l’immigration qui différent d’un pays à l’autre du fait de différences de pyramides des âges, taux de chômage, intégration des vagues d’immigration précédents, ou encore de préférences pour la diversité. Peu importe la ou les raison(s), ces différences de « coûts » impliquent que certains pays ont - pour reprendre un vocabulaire économique courant - un avantage comparatif dans l’accueil d’immigrés. Le second volet est un mécanisme de matching (issu notamment des modèles d’allocations d’appariement entre étudiants et universités aux Etats-Unis). Ce dernier est efficace dans la mesure où il prend en compte les préférences des migrants pour certaines destinations - et les préférences des pays d’accueil pour certains types de migrants – et que chacun est incite à révéler ses préférences véritables. Les auteurs s’intéressent ensuite à la mise en pratique du modèle via la présentation de deux applications potentielles. La première application est un « marché » relatif à la relocalisation de réfugiés internationaux ; protéger ces populations est un bien public international reconnu, et les coûts induits par une coordination globale sont déjà largement amortis du fait de l’existence d’institutions déjà en place (UNHCR, CEAS…). Le système actuel est extrêmement déséquilibré, seule une poignée de pays de l’OCDE accueillant effectivement des réfugiés. La seconde application est plus hypothétique : il s’agit d’un programme de visas des pays de l’OCDE, ciblant une réduction de la pauvreté, adapté de la loterie américaine pour les « green cards ». Cela nécessiterait de déterminer un groupe cible (les pays à bas revenus ? ceux touchés par des guerres civiles ou des catastrophes naturelles ?) et des quotas initiaux sous condition de participation. Cette seconde application fait l’objet de simulations (selon différents scénarios possibles quant aux fonctions de coûts liés à l’immigration) qui démontrent la faisabilité de ce système.
......................
Titre original de l’article académique : “Tradable Immigration Quotas”
Publié dans : Journal of Public Economics, Elsevier, 2014, 115, pp.94-108
Téléchargement : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01045120
......................
© alexskopje - Fotolia.com