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Pouvoir de marché et volatilité dans l’industrie du transport aérien

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Alexandra Belova, Philippe Gagnepain, et Stéphane Gauthier

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L’idée bien acceptée aujourd’hui selon laquelle les consommateurs bénéficieraient de la concurrence par le biais de prix plus bas sur un marché repose sur l’hypothèse que ce marché a atteint un équilibre. Lorsque les entreprises disposent d’un pouvoir de marché, les autorités de la concurrence se réfèrent généralement au concept d’équilibre de Nash : les entreprises sont supposées capables de prédire correctement le comportement de leurs concurrents. Dans un marché où la quantité produite est la stratégie pertinente, une instabilité peut naître du fait que les entreprises ne parviennent pas à prédire ce comportement. Toutes les entreprises peuvent, par exemple, supposer que leurs concurrents vont produire des quantités supérieures à celles qu’ils produiraient à l’équilibre, ce qui, dans les faits, amène chacune d’elle à produire en-dessous de la quantité d’équilibre. La notion d’équilibre a rarement été remise en question dans les modèles construits par les économistes ; et pourtant, la réalité des données peut être très différente, notamment lorsque le chercheur observe une fluctuation importante des prix ou des quantités proposées.

Alexandra Belova, Philippe Gagnepain, et Stéphane Gauthier proposent de construire un indice qui mesure le degré de stabilité des marchés, puis, dans un second temps, tentent d’identifier les spécificités des marchés qui seraient soumis à une instabilité chronique. Pour cela, ils exploitent une base de données sur le transport aérien aux Etats-Unis sur une période allant de 2003 à 2013. Un marché dans ce secteur est défini comme une paire de villes d’origine et de destination ; par exemple le marché « New-York > Los Angeles » inclut tous les services offerts par toutes les compagnies aériennes présentent sur ce segment. Le modèle théorique de l’article suggère qu’un marché spécifique converge vers un équilibre de Nash si l’indice de stabilité calculé pour ce marché est inférieur à 1. Les résultats empiriques montrent que l’indice se trouve en-dessous de 1 pour une large fraction des marchés considérés, c’est-à-dire environ 90% d’entre eux. Les auteurs constatent que, sur ces marchés, la production effectivement choisie par les entreprises est proche de celle qu’elles choisiraient à l’équilibre. Pour les 10% des marchés restants, un équilibre de Nash n’a pas été atteint. La structure du marché est un élément très important pour appréhender sa stabilité. Les marchés qui peinent à converger vers un équilibre sont, sans surprise, ceux qui impliquent un nombre plus élevé de compagnies aériennes. Dans ce cas, les compagnies en question ont plus de difficultés à prévoir le comportement de leurs concurrents. Plus généralement, les marchés mettant en opposition des entreprises de taille équivalente sont ceux qui sont les plus instables ; à l’opposé, des marchés mettant en opposition des grandes et des petites entreprises sont plus stables car les petites entreprises, qui ont à disposition une gamme de stratégies de production plus restreinte, sont plus prévisibles dans leurs choix stratégiques. En outre, les compagnies aériennes sont confrontées à des coûts de production plus élevés sur les marchés relativement plus instables, ce qui permet d’argumenter que les compagnies aériennes les plus inefficaces (celles qui supportent les coûts les plus élevés) ont également plus de difficultés à démêler le jeu stratégique auquel elles participent. L’analyse suggère, par ailleurs, que les erreurs de prédiction passées sont importantes dans le processus d’apprentissage de chaque entreprise. L’apprentissage adaptatif tend à stabiliser les erreurs au fil du temps. Plus l’erreur passée est grande, moins l’erreur actuelle sera importante. Il est aussi intéressant de noter que les erreurs constructives sont celles commises sur le marché deux ou trois trimestres plus tôt, et non pas celles du dernier trimestre, ce qui suggère qu’il est difficile pour les entreprises concernées de tirer des leçons de leurs erreurs immédiates. De plus, les petites compagnies, pour qui le traitement de l’information est plus coûteux et qui disposent de moins d’expérience, semblent moins efficaces dans le processus d’apprentissage comparativement aux grosses compagnies traditionnelles telles Delta, American Airlines, United Airlines, ou Southwest.

En conclusion, plus de concurrence sur un marché, comme celui du transport aérien, est bénéfique pour les consommateurs car cela permet une diminution des prix d’équilibre. Néanmoins un plus grand nombre de concurrents rend en même temps moins vraisemblable la convergence vers l’équilibre. En ce sens, la concurrence aggrave l’instabilité des marchés en question, ce qui place ces consommateurs face à des offres de services et des prix qui fluctuent en permanence. L’autorité publique en charge du contrôle du bon fonctionnement des marchés doit donc trouver le juste compromis entre ces deux effets contraires.

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Titre original de l’article académique : “Market power and volatility in the airline industry”

Publié dans (forthcoming) : non publié

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