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Le gaz de schiste a-t-il un rôle à jouer dans la transition énergétique européenne ?

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Fanny Henriet et Katheline Schubert

En France, la loi Jacob du 13 juillet 2011 interdit la fracturation hydraulique (1). Cette position, soutenue par une majorité de la population (2), peut sembler déroutante à un moment où la France tente de réduire sa dépendance à l’énergie nucléaire tout en contenant l’augmentation du prix de l’électricité. Elle est, en outre, en opposition complète avec l’enthousiasme qu’a provoqué cette nouvelle technique aux États-Unis. L’interdiction d’exploitation du gaz de schiste repose sur deux arguments forts. Tout d’abord, la fracturation hydraulique est susceptible de provoquer de nombreux dommages environnementaux, tels que la pollution des eaux de surface et des nappes phréatiques ou la création de vibrations sismiques. Ensuite, investir dans l’extraction du gaz de schiste pourrait retarder la transition vers une énergie propre renouvelable. A l’inverse, les partisans du gaz de schiste arguent que le gaz naturel émet moins de CO2 que les autres combustibles fossiles (pétrole et surtout charbon), et que sa substitution au charbon devrait donc être encouragée pour lutter contre le réchauffement climatique. Selon le Fonds Monétaire International, “l’abondance de gaz naturel pourrait ainsi fournir une transition entre la situation présente en termes de mix énergétique mondial et un avenir plein d’espoir qui impliquerait principalement les sources d’énergie renouvelables.”

Alors, quelle stratégie adopter ? Dans cet article, Fanny Henriet et Katheline Schubert évaluent si les préoccupations climatiques peuvent justifier le développement de l’exploitation du gaz de schiste ou si, au contraire, elles doivent inciter à une transition directe vers une énergie propre. Elles prennent en compte à la fois le dommage environnemental local induit par la technique d’extraction, le dommage climatique global et les contraintes financières auxquelles sont soumis les gouvernements. Le modèle repose sur la confrontation de ces trois contraintes et les auteurs aboutissent à trois scénarios. Le premier considère uniquement le dommage local, ce qui plaide en la défaveur de toute extraction de gaz de schiste. Le deuxième confronte le dommage local et la nécessité d’agir rapidement au niveau global pour faire diminuer le niveau des émissions de CO2, ce qui conduit à tolérer temporairement l’extraction du gaz de schiste, afin de remplacer le charbon, en attendant la généralisation des énergies renouvelables. Un exercice de calibration du secteur électrique européen montre que, dans ce scénario, et en l’absence de contrainte financière (3), seule une petite fraction du gaz de schiste européen devrait être extraite (environ 6%). Le dernier scénario met l’accent sur la contrainte des dépenses énergétiques (4). Le dommage environnemental local perd alors de son importance face aux coûts, ce qui incite à développer davantage l’extraction de gaz de schiste. Ce troisième scénario pourrait conduire à négliger une partie des dommages environnementaux locaux face aux bénéfices monétaires, et donc à surinvestir massivement dans le gaz de schiste, conduisant à extraire 20% des ressources et à reporter le passage à l’énergie renouvelable. Par ailleurs, les auteurs rappellent que refuser d’extraire le gaz de schiste, comme c’est le cas en France, n’implique qu’une hausse modeste des dépenses d’électricité, de l’ordre de 1.8%, par rapport à un scénario sans moratoire.

(1) La fracturation hydraulique est une technique de fissuration massive de la roche par injection d’un liquide – souvent de l’eau – sous pression. Elle permet de récupérer du pétrole ou du gaz dans des roches très denses, dans lesquelles un puits traditionnel serait inefficace.
(2) Sondage IFOP, 13 septembre 2012 : 74 % des sondés sont opposés à l’exploitation du gaz de schiste ; étude BVA, 2 octobre 2014 : 62 %. Il est intéressant de noter que ceci est supérieur à l’opposition à l’énergie nucléaire de la population française
(3) Le dommage local est monétisé pour être comparé aux autres coûts : il est de l’ordre de 75 % du coût de production de l’électricité à partir de gaz de schiste
(4) Une contrainte sur les dépenses énergétiques signifie que le gouvernement souhaite atteindre son objectif de réduction des émissions sans alourdir la facture énergétique.

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Titre original de l’article académique : « Should we extract the European shale gas ? The effect of climate and financial constraints »
Publié dans : Documents de travail du Centre d’Economie de la Sorbonne 2015.50
Téléchargement : https://pastel.archives-ouvertes.fr/halshs-01169310/document

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