La science économique au service de la société

Concurrence au sein des réseaux pour l’accès et l’utilisation de l’information

Lien court vers cet article : http://bit.ly/2gjcS4c

Philipp Moehlmeier, Agnieszka Rusinowska et Emily Tanimura

JPEG - 54.5 ko

En plus de l’information publique, diffusée par les médias par exemple, et accessible à tous, la plupart d’entre nous reçoit des informations utiles d’un cercle restreint d’amis ou de connaissances. L’accès à ces informations « décentralisées » a certainement son importance dans plusieurs contextes (1). De façon simplifiée, la transmission d’information peut être modélisée par un schéma dans lequel les individus forment un réseau constitué de liens représentant des relations sociales, offrant des bénéfices en termes d’information, et induisant des coûts. Les individus se comportent de manière stratégique et visent à maximiser le flux d’informations qu’ils reçoivent du réseau. De prime abord, on pourrait penser qu’un réseau d’amis et de connaissances plus dense serait bénéfique à tout le monde, puisqu’il procurerait plus d’information (du moins si on ne prend pas en compte le coût requis pour maintenir ces relations). Toutefois, cela suppose que l’information est un « bien non rival » : utilisé par plusieurs individus simultanément, il fournit à chacun la même utilité que s’il en était le seul utilisateur. La validité de cette supposition semble dépendre de la nature de l’information. Par exemple, quelqu’un qui prend connaissance de l’ouverture d’un poste préfèrerait certainement que peu d’autres personnes en soient informées. De la même façon, apprendre que le prix des places d’un concert convoité va faire l’objet de réductions, ou qu’il y a des places de parking disponibles dans un quartier bondé de la ville, est toujours plus utile lorsque l’information n’est pas largement partagée. Pour cette raison, il est naturel de prendre en compte une externalité négative incluant le fait que l’utilité d’un agent décline lorsqu’il doit partager son information avec d’autres. Mais, dans d’autres cas, l’information est réellement un « bien non rival » : je suis satisfait(e) d’être informé(e) qu’il pleuvra cette après-midi, car je pourrai prendre mon parapluie, mais mon bien-être ne sera en aucun cas réduit par le fait que d’autres en soient informées et prennent le leur… Un autre aspect à considérer est que même dans les cas où l’usage de l’information est non rival, il pourra y avoir de la concurrence en termes d’accès à cette information à cause des effets dits « de congestion » : des individus ayant beaucoup de contacts sont susceptibles de passer moins de temps avec chacun d’entre eux et cela se traduit par une probabilité plus faible de transmettre des informations utiles à chacun de ses contacts. Dans ce cas, un individu n’est pas forcément mécontent que d’autres reçoivent cette information : il est mécontent que d’autres la reçoivent à sa place.

Dans cet article théorique, Philipp Moehlmeier, Agnieszka Rusinowska et Emily Tanimura discutent de la modélisation, dans un cadre de formation de réseau, des externalités négatives associées aux connections résultant des effets mentionnés ci-dessus. Ils considèrent deux modèles, l’un s’intéressant à l’usage concurrentiel de l’information (rival ou non rival) et l’autre à l’accès concurrentiel à l’information. Leurs principaux résultats concernent d’une part ce qu’ils nomment « la stabilité des paires » : aucun agent ne veut supprimer ses liens existants, et deux agents ne veulent pas former un nouveau lien ensemble. D’autre part, les auteurs analysent l’efficacité qui correspond à l’utilité totale de tous les agents maximisée. En particulier, ils mettent en lumière les principales différences entre les effets des deux formes de concurrence (usage et accès). Si un agent est en concurrence pour l’usage de l’information, la volonté de ne pas être informé après d’autres va l’inciter à créer de nouveaux liens afin d’atteindre des relations plus lointaines. Si les coûts sont faibles, les réseaux stables ont des diamètres courts et peuvent être densément connectés, parfois trop du point de vue de l’efficacité. Dans une situation de concurrence pour l’accès à l’information, en revanche, les structures densément connectées ne sont pas plausibles, à part si les coûts sont très bas. Dans ce contexte, la source de désutilité est la congestion, un problème aggravé dans des réseaux densément connectés. Les chainons de communication plus longs seront plus stables et plus efficaces que des structures de diamètre court, car il y aura moins de congestion lorsque l’information est transmise.

(1) Par exemple, nombre d’études ont montré que les contacts personnels, qu’ils soient directs ou indirects, sont la source la plus fréquente d’information menant à l’acquisition d’un emploi.

......................
Titre original de l’article académique : “Competition for the access to and use of information in networks”
Publié dans : CES Working Papers, 2016.33
Téléchargement : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01316936/

......................
© andreusK - Fotolia.com