La science économique au service de la société

Prendre de bonnes décisions au sein d’un groupe : un problème de coordination ?

Nobuyuki Hanaki, Nicolas Jacquemet, Stéphane Luchini, Adam Zylbersztejn

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La coordination des décisions isolées des personnes qui composent un groupe (une entreprise, une équipe, un marché, etc.) est souvent un élément clé de réussite : dans de nombreuses situations, la question centrale à laquelle sont confrontées les organisations est moins de savoir quelle solution adopter que de s’assurer que tous les membres de l’organisation prennent des décisions cohérentes entre elles. Cette question est étudiée depuis longtemps en économie grâce aux outils de la théorie des jeux, qui insiste sur le rôle de l’incertitude stratégique dans les défauts de coordination : la difficulté d’un groupe à se coordonner sur la décision la meilleure pour tous est fortement liée aux difficultés que rencontrent les membres du groupe à anticiper correctement les décisions des autres. Un travail antérieur de Nicolas Jacquemet, Stéphane Luchini et Adam Zylbersztejn (1) a montré que certaines formes de communication permettent d’améliorer la coordination, mais sans parvenir à éliminer l’ensemble des défauts de coordination.

Dans une série d’articles, Nobuyuki Hanaki et ces mêmes auteurs s’appuient sur des expériences en laboratoire de sciences sociales, afin de comprendre la persistance des défauts de coordination dans les situations où des outils de communication efficaces sont pourtant disponibles. Une première étude compare les décisions qui sont prises dans un jeu de coordination à celles que l’on voit apparaître dans un jeu en tous points identique, mais dans lequel les participants à l’expérience sont informés qu’ils interagissent avec des ordinateurs dont les décisions leurs sont parfaitement connues d’avance. Ces participants ne sont donc confrontés à aucune incertitude stratégique, ce qui fournit un point de repère comportemental pour évaluer l’effet de l’incertitude stratégique sur les échecs de coordination. Les résultats montrent que les échecs de coordination restent importants y compris en l’absence d’incertitude stratégique (2), qui n’expliquerait alors que partiellement les échecs de coordination : une partie d’entre eux proviennent tout simplement de décisions inadaptées. A cet égard, c’est donc sur la prise de décision elle-même, et non sur la coordination des décisions individuelles, qu’il faut agir pour améliorer les décisions prises à l’intérieur du groupe.
Pour aller plus loin, une seconde étude s’inspire des travaux en psychologie et en management qui mettent en évidence le rôle des capacités cognitives dans les décisions prises au sein des organisations. L’étude recourt à des tests cognitifs empruntés à la psychologie, qui reposent par exemple sur des résolutions de puzzle et des énigmes logiques (et de plus en plus fréquemment utilisés par les services de ressources humaines dans le cadre de tests de recrutement). Les résultats montrent que, en l’absence d’incertitude stratégique, les personnes dont les décisions conduisent à des échecs de coordination sont effectivement plus susceptibles d’obtenir des résultats faibles aux tests cognitifs. Mais le résultat le plus important est que les capacités cognitives individuelles n’expliquent qu’une faible fraction de l’ensemble des échecs de coordination qui subsistent. Les facultés cognitives sont certes un facteur qui favorise la réussite d’un groupe, mais elles sont loin de la garantir.

(1) Voir PSE « 5 articles… en 5 minutes ! » décembre 2014, https://www.parisschoolofeconomics.eu/fr/economie-pour-tous/grand-public/5-articles-en-5-minutes/decembre-2014/quand-l-engagement-vient-au-secours-de-la-coordination/
(2) Dans des proportions similaires à celles qui sont observées lorsque des personnes « réelles » interagissent entre elles en s’appuyant sur des moyens de communication efficaces


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Titres originaux des articles académiques : “Fluid intelligence and cognitive reflection in a strategic environment : evidence from dominance-solvable games” et “Cognitive ability and the effect of strategic uncertainty”
Publiés respectivement dans : Frontiers in Psychology, Vol. 8, Article 1188 (2015) et Theory and Decision, Vol. 81(1), pp.101-122 (2016)
Téléchargements : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01359231/ et https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01261036/

Lien court vers ce résumé : http://bit.ly/2zk42gV

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