Comment identifier les sujets de recherche permettant de mieux répondre à une problématique sociétale ?
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Lorenzo Cassi, Agénor Lahatte, Ismael Rafols, Pierre Sautier, Élisabeth de Turckheim
Au moment même où les gouvernements sont soumis à des pressions pour justifier et légitimer leurs dépenses dans le domaine de la recherche, évaluer la contribution de cette dernière pour faire face à la complexité des défis et problèmes mondiaux majeurs de notre époque, tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire, la lutte contre la pauvreté, la menace de nouvelles pandémies mondiales, revêt de plus en plus d’importance en politique de la science.
Des outils permettant d’estimer les rendements de production et de recherche au sein des sphères scientifiques ont pu voir le jour grâce à des techniques bibliométriques traditionnelles. En revanche, résoudre une problématique sociétale ne passe pas seulement (ou pas forcément) par une amélioration de la production et de la qualité de la recherche sur cette problématique spécifique. Mener beaucoup de recherches de très haute qualité sur une partie des connaissances (par ex. la production d’électricité) n’est pas suffisant si d’autres parties des connaissances ne sont pas étudiées (par ex. la distribution de l’électricité).
Répondre aux problématiques sociétales nécessite d’établir un lien et éventuellement la coordination entre plusieurs acteurs issus de domaines d’expertise divers, engagés sur des travaux de recherche très variés. L’évaluation de la production et de la qualité scientifiques ne suffit pas.
Dans cet article, Lorenzo Cassi, Agénor Lahatte, Ismael Rafols, Pierre Sautier et Élisabeth de Turckheim explorent une méthode de cartographie permettant d’identifier des sujets de recherche adaptés à un enjeu de société, dans le cas présent l’obésité. Il s’agit d’un « enjeu majeur à l’échelle planétaire » : selon les estimations, près de 30 % de la population mondiale souffre de surpoids ou d’obésité, dans les pays industrialisés mais aussi dans les pays en développement. L’obésité est une question intéressante dans le cadre de cet exercice car il s’agit d’un problème grave pour lequel il est possible de classer par ordre de priorité les différents types d’interventions de politique publique.
La méthodologie se base sur la démarche (ou l’absence) d’alignement de Sarewitz et Pielke (1) entre la science produite (l’offre de connaissance) et ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins sociaux (la demande de connaissance). Puisque la recherche s’inscrit dans un cadre de connaissances très incomplètes, l’incertitude est un facteur clé du progrès scientifique, c’est pourquoi il est important de garder un éventail d’options à disposition au sein des portefeuilles de recherche. Les « meilleurs » choix sur le plan des résultats recherchés (demande de connaissance) doivent également être pluriels, car un problème donné peut être résolu grâce à de multiples technologies. Déterminer quelle technologie est la meilleure relève de l’incertitude (puisqu’elles ne sont pas encore disponibles) et de ambiguïté (car les préférences des divers acteurs sociaux peuvent diverger). Cette méthode compare l’analyse sémantique des publications (une représentation de l’offre scientifique) et des documents de politique publique (un exemple de demandes sociétales). La cartographie des documents se fait à l’aide du topic modelling, une méthode basée sur des textes qui peut ainsi être utilisée à la fois pour des documents scientifiques et politiques (sociétaux). La cartographie de l’offre scientifique obtenue indique cinq domaines principaux : biologie et processus métaboliques, études des maladies et menaces sanitaires, traitements, modes de vies et environnement social. La carte des documents de politique publique présente quatre domaines : alimentation et produits chimiques dangereux, maladies apparentées, industrie alimentaire et effets nocifs, prévention et remèdes.
La comparaison entre les deux cartes semble suggérer que la plupart des recherches liées à l’obésité se concentrent sur la biologie et la médecine et que seule une faible proportion du portefeuille de recherche porte sur les politiques, principalement au travers de sujets de santé publique ou en sciences sociales. En d’autres termes, cette analyse suggérerait de mettre davantage l’accent de la recherche sur les déterminants et environnements sociaux plutôt que sur l’étude du métabolisme ou des traitements médicaux. Enfin, bien que la présentation soit un exercice technique, les auteurs proposent que ce type de méthode de cartographie soit utilisé interactivement avec des experts du domaine dans le cadre d’une méthodologie à grande échelle qui inclue des discussions avec différents acteurs et experts.
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Titre original de l’article : Improving fitness : Mapping research priorities against societal needs on obesity
Publié dans : Journal of Informetrics - Volume 11, Issue 4, November 2017, Pages 1095-1113
Disponible sur : https://ideas.repec.org/p/hal/journl/hal-01629960.html
(1) Sarewitz, D., & Pielke, R. A. (2007), The neglected heart of science policy : reconciling supply of and demand for science (L’oublié de la science-politique : réconcilier l’offre et la demande en science). Environmental Science & Policy, 10(1), 5–16.