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Les droits fonciers traditionnels, un outil inattendu pour lutter contre la déforestation ?

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Liam Wren-Lewis*, Luis Becerra-Valbuena** et Kenneth Houngbedji

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La demande croissante de terres agricoles est l’un des principaux moteurs de la déforestation, qui contribue à la perte de biodiversité et au changement climatique. De nombreux acteurs ont longtemps soutenu que garantir les droits de propriété des populations locales et améliorer la gestion des biens communs pourraient concourir à la protection des forêts. Les défenseurs de l’environnement ont principalement agi sur le plan des régimes fonciers dans les régions forestières, en créant, par exemple, des zones protégées. Cependant, ces zones protégées ne préservent les forêts que de manière limitée, ce qui peut mener à d’importants compromis entre conservation des écosystèmes et accroissement de l’activité économique. Si de nombreux pays à faible revenu ont entrepris des programmes visant à améliorer la gouvernance des terres rurales, ils ont souvent concentré leurs efforts sur l’amélioration de la sécurité des terres agricoles. Toutefois, les effets d’une telle approche sur les forêts sont incertains.

Dans cet article, Liam Wren-Lewis, Luis Becerra-Valbuena et Kenneth Houngbedji analysent une expérience à grande échelle mise en œuvre par le gouvernement du Bénin qui vise à augmenter la productivité agricole et à protéger les ressources naturelles. Le Bénin, qui a vu près d’un quart de sa surface forestière disparaître entre 1990 et 2015, est l’un des pays les plus touchés par la déforestation. Le programme des Plans Fonciers Ruraux (PFR) a permis de faire reconnaître formellement les droits fonciers coutumiers détenus par les ménages et de créer des comités locaux de gestion des terres dans 300 villages choisis au hasard parmi environ 600 villages qui s’étaient portés volontaires. Dans le cadre de ce programme, 70 000 propriétés foncières représentant environ 300 000 hectares de terres rurales ont été délimitées et enregistrées dans les villages ciblés.

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Les auteurs ont mesuré, à l’aide d’images satellites à haute définition, la perte de couverture forestière avant et après l’intervention dans les villages ciblés, par rapport à un groupe de villages contrôle. Ils ont constaté que ce programme a permis de réduire la superficie de perte forestière dans les villages ciblés d’environ 20 %. Autrement dit, une perte supplémentaire de 600 hectares de couverture forestière a pu être évitée dans les villages ciblés sur une période de 8 ans, grâce à ce programme. À titre de comparaison, un terrain de football couvre une superficie de 0,714 hectares. Les auteurs n’ont, en outre, pas constaté de signes montrant que les agriculteurs ont abattu des arbres en prévision du programme, ni que l’abattage a augmenté dans le voisinage des villages ciblés.

Les données relatives à la perte de couverture forestière et les données d’enquête mènent à penser que trois mécanismes ont probablement été à l’œuvre. Tout d’abord, il est possible que le programme PFR ait poussé les agriculteurs à investir davantage dans les parcelles existantes, ce qui a permis d’accroître la productivité et, ainsi, de réduire la nécessité de défricher de nouvelles terres. Deuxièmement, les agriculteurs ont peut-être vu en ce programme la garantie de disposer de suffisamment de terres pour leur production future, ce qui a pu les décourager de revendiquer et de défricher de nouveaux terrains. Troisièmement, il est probable que la délimitation des propriétés foncières et la création de comités fonciers locaux ont facilité la gestion communautaire des forêts.

Cette étude vient compléter les études précédentes portant sur le PFR qui ont montré que l’enregistrement des terres encourageait les ménages à investir davantage dans leurs parcelles. Ces nouveaux résultats semblent indiquer que la formalisation des droits fonciers coutumiers dans les zones rurales peut être un moyen efficace pour à la fois lutter contre la déforestation et améliorer les investissements agricoles.

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Références

Titre original de l’article : Formalizing land rights can reduce forest loss : Experimental evidence from Benin

Publié dans : Science Advances. 26 Jun 2020:Vol. 6, no. 26, eabb6914

Disponible via : https://advances.sciencemag.org/content/6/26/eabb6914


* Chercheur PSE
** Doctorant PSE

Crédits visuel : Bing - Digitalglobe 2020