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Jean-François Laslier : « D’autres modes de scrutin sont possibles »

Les principaux partis et candidats se mettent en mouvement en vue de la présidentielle de 2017, élection pour laquelle le taux de participation tiendra certainement un rôle central. Jean-François Laslier, spécialiste des questions « démocratiques » (économie normative, agrégation des préférences individuelles, théorie du vote…) explique que les électeurs sont largement ouverts aux innovations institutionnelles. Ainsi, d’autres modes de scrutin pourraient être mis en place, différents de ceux utilisés notamment lors des élections présidentielles et européennes, et qui laisseraient plus de liberté aux électeurs.

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Jean-François Laslier est Chaire associée à PSE et directeur de recherche au CNRS


Quels sont vos thèmes de recherche et quelles sont vos méthodes ?

Je m’intéresse aux questions liées à la représentation et à la démocratie. Mon but est de comprendre le fonctionnement des institutions démocratiques. A ce titre, mes sujets d’étude sont l’économie normative, l’agrégation des préférences ou encore la modélisation de la concurrence électorale. Je mène plus particulièrement des recherches sur les modes de scrutin. Je travaille, de ce fait, in situ dans les bureaux de vote mais aussi, parallèlement, sur des sites internet proposés à l’occasion de divers rendez-vous démocratiques, et en laboratoire d’économie et sciences sociales. Ainsi, ma démarche consiste à observer les comportements individuels dans des environnements plus ou moins contrôlés, sur le terrain, en laboratoire ou en ligne : cela s’appelle l’expérimentation en science politique. Cette spécialité a hérité de l’économie expérimentale et de la psychologie politique. (1)

Pourquoi vous intéressez-vous aux modes de scrutin ?

Cela part d’un constat simple : la machine démocratique est enrayée, et l’une des explications serait l’exaspération des électeurs face aux modes de représentation actuels. Bien entendu, les élections ne font pas, à elles seules, la démocratie, mais elles ont une importance pratique certaine, et elles portent une charge symbolique essentielle. Le système actuel fait la part belle aux personnalités établies et aux appareils de partis. Dans l’élection principale – la présidentielle – comme dans les élections dites secondaires (législatives, européennes, etc.) les électeurs ont souvent l’impression de ne pas pouvoir s’exprimer correctement, de ne pas avoir, littéralement, voix au chapitre. Les modalités du vote imposent un manque de liberté et de flexibilité dans le choix. Par exemple, pour les élections européennes le système de listes dites « fermées », c’est-à-dire obligeant les électeurs à choisir des listes entières plutôt que des candidats, laisse en réalité aux appareils des partis, plutôt qu’aux électeurs, l’essentiel du pouvoir de nomination. On comprend facilement les raisons pour lesquelles les électeurs rejettent cette forme de scrutin, et pourquoi cela participe au développement d’une défiance croissante face à la démocratie. Mon objectif est de déterminer quelles pourraient être les formes de scrutin alternatives, réalistes, et qui conviendraient mieux aux électeurs.

Quelles expériences avez-vous menées ces dernières années ?

Pour les présidentielles de 2012, mes co-auteurs et moi-même avons mêlé expérimentation sur le terrain, en ligne, et travail en laboratoire. Dans plusieurs bureaux de vote, à Saint-Etienne, Strasbourg et Louvigny, les électeurs ont pu essayer diverses formes de « Vote par notes ». En ligne, grâce au site Vote au pluriel (http://voteaupluriel.org), près de 12 000 personnes ont participé à une étude pendant les trois semaines précédant le premier tour. Sur ce site, les électeurs étaient invités à voter quatre fois avec des systèmes de votes différents : le vote uninominal à 1 tour (type « Mexique »), le vote uninominal à 2 tours (type « France »), le vote transférable (type « Irlande ») et, enfin, le vote par approbation. La particularité du vote par approbation ou « vote par assentiment » est qu’il n’est utilisé par aucun pays, alors qu’il est étudié et défendu depuis près d’un demi-siècle par les chercheurs ! Dans ce système, chaque électeur indique s’il approuve ou non chacun des candidats, ce qui revient en fait à le noter soit 0 soit 1. Le candidat élu est celui qui a été approuvé par le plus grand nombre d’électeurs.

Pour les élections européennes de 2014, le site EuroVotePlus (http://eurovoteplus.eu) proposait aux internautes à travers toute l’Europe de tester trois systèmes électoraux représentatifs de ceux utilisés dans l’Union. Parmi ces systèmes, on trouve le système Français, basé sur des listes « fermées », demandant aux électeurs de voter pour des listes entières. Le deuxième système est celui de la Lettonie, basé sur des listes « ouvertes ». Dans ce cas, les électeurs peuvent soutenir ou rejeter (vote « négatif ») un ou plusieurs candidats dans une même liste. Enfin, le dernier système est le système Luxembourgeois basé sur des listes « ouvertes avec panachage et vote cumulatif ». Dans ce système, les électeurs disposent de plusieurs points (le même nombre que de sièges à pourvoir) à attribuer à un ou plusieurs candidats, inscrits sur des listes éventuellement différentes. Là encore, des milliers d’internautes, dans toute l’Europe, ont participé.

Que nous révèlent ces expériences sur les systèmes de vote ?

D’une manière générale, les électeurs apprécient de pouvoir donner leur opinion sur tous les candidats, à l’opposé du vote « uninominal ». Pour les élections de type « présidentielle », les systèmes additifs d’évaluation par notes font appel à une logique familière (peser plus ou moins) et ne suscitent pas de problème d’interprétation. Les électeurs les comprennent bien, jusque dans leurs conséquences politiques. Comparés aux scrutins uninominaux, les systèmes additifs par note sont plus favorables aux candidats consensuels, ces candidats qui, dans l’électorat, ne sont peut-être pas souvent les premiers choix, mais que le plus grand nombre trouve acceptable. On observe aussi qu’il n’y a pas de différences énormes entre les systèmes de notation à échelle fine (par exemple noter sur 20) et le simple vote par approbation, dans lequel l’électeur déclare, à propos de chaque candidat, s’il est pour ou contre son élection. Ce qui importe fondamentalement pour l’électeur, et aussi pour le résultat final, c’est que chacun-e puisse s’exprimer, dans son vote, sur tous les candidats.

Les élections de type « parlementaire » soulèvent d’autres problèmes. Par exemple, avec l’expérience menée lors des élections européennes 2014, nous voulions savoir si le fait de pouvoir voter pour les candidats individuellement, plutôt que pour des listes, pouvait favoriser la représentation des femmes. Nous avons constaté que les électrices étaient particulièrement satisfaites de pouvoir voter pour les candidates et utilisaient cette possibilité pour faire élire des femmes. L’analyse des données de 2014, montre que les électeurs comme les électrices sont, en France, plus attirés par un système de vote avec des listes « ouvertes » que « fermées ». Les électeurs préfèrent avoir la possibilité de voter pour des personnes plutôt que de voter pour une liste. Dans le cadre de cette expérience, on constate qu’ils recherchent avant tout un moyen d’expression et une plus grande flexibilité dans leurs choix. Les résultats de l’expérience des élections européennes 2014 et les observations faites lors des élections présidentielles se rejoignent sur ce point.

Pourquoi un système similaire à ceux que vous évoquez n’est-il pas mis en place ? Sont-ils réalisables en pratique ?

Nos résultats montrent que les électeurs peuvent s’approprier ces systèmes de vote, qui sont tout à fait réalistes et utilisables. Individuellement, nous sommes prêts à nombre de nouveautés ; collectivement, cette envie ne se traduit que très rarement : la mise en place de nouveaux modes de scrutin relève d’une innovation politique et présente une part d’incertitude, un risque évident pour les politiciens, mais aussi pour la société. Cette incertitude est due à la complexité du système politique : l’architecture institutionnelle, le fonctionnement des partis, leur financement, etc. On voit que l’expérimentation, comme d’ailleurs les comparaisons internationales et les études historiques, ont leurs limites : quelles seraient les conséquences de telle innovation politique sur les structures partisanes ? Une question comme celle-ci est spéculative, ce n’est pas une question factuelle. Pour y répondre, nous avons besoin de réflexions théoriques informées par l’observation des comportements de l’ensemble des acteurs concernés. Toujours dans le but de mieux comprendre les électeurs et leurs besoins, je continuerai à mener ce genre d’expérience. D’ailleurs, nous recherchons toujours des volontaires : qui sait ce que nous réserve 2017 !

(1) Voir par exemple la lettre n°18 pour plus de détails sur le travail de J-F Laslier