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Nicolas Astier : "L’électricité est centrale dans notre lutte contre le changement climatique"

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Nicolas Astier est professeur à PSE - École d’économie de Paris et chercheur à l’École Nationale des Ponts et Chaussées ParisTech. Son principal domaine de recherche est l’économie de l’énergie et de l’environnement, avec un fort intérêt pour la transformation en cours de l’industrie électrique et la décarbonisation des principaux secteurs consommateurs de combustibles fossiles. Il revient sur ses travaux les plus récents à travers cet entretien accordé à PSE :


Nouvel arrivant à PSE - École d’économie de Paris, vous avez rejoint la fondation en septembre dernier en tant que professeur. Quelles sont vos premières impressions ?

Mon arrivée a été rendue possible par la confiance que m’a accordée l’École des Ponts ParisTech en me recrutant comme chercheur et en me détachant à PSE. C’est une chance ! PSE est un environnement de recherche extrêmement stimulant : on peut y avoir des discussions passionnantes avec des chercheurs très qualifiés, des étudiants dynamiques et motivés, notamment sur les questions liées à l’environnement. Être situé au cœur de Paris est aussi un atout important ; cela favorise beaucoup les relations avec les pouvoirs publics et les entreprises, ce qui peut ouvrir de nombreuses opportunités de recherche.

Quand et pourquoi avez-vous commencé à étudier la question de la transition énergétique ?

Mon intérêt pour la transition énergétique comme sujet de recherche a émergé dès le début de mes études supérieures. A la fin des années 2000, il était clair que le changement climatique allait devenir l’un des grands enjeux de notre génération. Lutter contre le changement climatique suppose une transformation radicale de notre approvisionnement en énergie. Je me suis donc d’abord intéressé à l’énergie du point de vue des sciences de l’ingénieur. Le sujet de l’électricité m’est rapidement apparu comme central. Ce vecteur énergétique est en effet incontournable pour produire de l’énergie de façon décarbonée et en grande quantité : on peut électrifier les usages qui consomment des carburants ou, lorsque cela n’est pas possible, utiliser l’électricité pour produire des carburants verts comme l’hydrogène.

Pour autant, les recherches en sciences de l’ingénieur consistent souvent à optimiser des technologies existantes ou à concevoir des innovations de rupture (1). Il me semblait assez paradoxal d’aborder la question du changement climatique en pariant uniquement sur le progrès technologique, surtout dans la mesure où réduire très fortement notre empreinte carbone tout en maintenant un niveau de confort raisonnable ne paraît pas hors de portée à technologies constantes. Parvenir à cet objectif relève davantage de notre capacité collective à aligner les incitations des individus, gouvernements et entreprises avec une utilisation efficace et juste des ressources et des technologies existantes. J’ai donc voulu chercher à mieux comprendre en quoi et pourquoi les décisions individuelles et collectives font barrage à la capacité réelle que nous avons à converger vers un fonctionnement soutenable de nos sociétés.

En abordant la transition énergétique sous l’angle de la science économique, mon intérêt pour l’électricité s’est renforcé car c’est un sujet qui touche à un grand nombre de champs différents en économie. Ma thèse, par exemple, mobilise des concepts et des outils d’économie industrielle, d’économie comportementale et d’économie publique. On est ainsi amené à s’intéresser à une littérature très vaste, et ce d’autant plus en France où des ingénieurs-économistes ont pendant longtemps été à la pointe de la recherche mondiale sur le sujet.

Pourriez-vous nous en dire plus sur vos travaux en cours sur la décarbonisation de la production d’électricité ?

L’électricité est sous bien des aspects la pierre angulaire de notre stratégie de lutte contre le changement climatique. Nous partons toutefois d’une situation où, pour un ensemble de raisons, l’industrie électrique en France et en Europe est loin d’être organisée selon des fondamentaux économiques solides reflétant la frontière de nos connaissances. Ceci ouvre ainsi de nombreuses opportunités de recherche pour documenter les inefficacités observées, et essayer de proposer et de prioriser des pistes d’amélioration.

Dans mon travail de recherche le plus récent (2), mené avec Ram Rajagopal et Frank Wolak, nous partons du constat que l’éolien et le solaire vont être en première ligne à travers le monde pour décarboner la production d’électricité. Pour autant, le champ des possibles pour développer ces moyens de production est très large : ils peuvent être déployés en toutes petites unités, par exemple, quelques panneaux solaires sur une toiture, ou à très grande échelle, comme dans le cas des parcs éoliens en mer. Le coût total par unité d’électricité produite entre une grande centrale solaire au sol - plusieurs centaines de mégawatts - et les quelques panneaux solaires que l’on met sur le toit de son logement diffère d’un facteur deux à trois, du fait des économies d’échelle et de la possibilité de localiser les grands parcs dans des zones à fort potentiel de production.

Cependant, on observe en pratique que les investissements au niveau mondial (en dollars) sont à peu près équivalents entre les petites et les grandes centrales solaires. Ceci s’explique notamment par le fait que les petites installations bénéficient généralement de conditions plus avantageuses en termes de soutien public. Le principal argument avancé pour justifier les politiques publiques favorisant les petites installations est qu’il est possible de les installer au plus proche des consommateurs finaux, et donc de diminuer à long-terme nos investissements dans le réseau électrique. La question qui se pose est ainsi : les petites centrales éoliennes et solaires ont-elles vraiment le potentiel de réduire les coûts de réseau ?

Peu d’études académiques viennent documenter cette question. L’objectif de ce travail est d’y répondre en s’appuyant sur des données réellement observées, notamment la consommation historique de la majorité des réseaux de distribution en France : nous divisons la France en 2 000 poches de consommation (des « postes sources » (3)) pour lesquelles nous observons la consommation nette horaire. Si les petits moyens de production, qui sont raccordés directement à un réseau de distribution et non au réseau de transport amont qui l’alimente, permettent de diminuer de manière significative la consommation nette observée pendant les heures les plus chargées, ils induiront alors des économies de coûts de réseau à long terme. Les résultats que nous obtenons ne supportent cependant pas cette conclusion, ce qui interroge sur la pertinence d’avoir des politiques publiques qui favorisent les petites installations au détriment des grands parcs.

Vous travaillez également sur la mobilité, notamment dans le cadre d’un projet de recherche en cours. Quel est l’objectif de ces travaux ?

Mes travaux sur la mobilité ont débuté il y a plus de deux ans dans le cadre d’un partenariat avec Blablacar. Un premier projet s’intéresse aux préférences des voyageurs dans le contexte de trajets moyenne-longue distance en voiture (4). En effet, si la majorité des trajets effectués en voiture sont ceux du quotidien, par exemple pour aller au travail, les trajets de moyenne ou longue distance représentent un nombre important de kilomètres parcourus et pourraient nourrir une certaine réticence à adopter un véhicule électrique. Afin de réduire les émissions engendrées par ces déplacements, il faut commencer par comprendre l’importance relative des principales caractéristiques du trajet dans les choix effectués par les voyageurs. Travailler en collaboration avec Blablacar nous permet de déduire ces informations - l’importance du prix du trajet, la valeur du temps, la praticité des points de rencontre - à partir des choix réellement effectués par les voyageurs et non de réponses à un sondage décrivant une situation hypothétique.

Cette collaboration avec Blablacar se prolonge dans le cadre d’un projet plus vaste financé par l’ADEME (5). Le but de ce projet est de faciliter la mobilité moyenne-longue distance en combinant le plus efficacement possible via une plateforme digitale les moyens de transport terrestres (bus, train, voiture). Cela se décline en de nombreux sujets de recherche : il faut comprendre et anticiper les préférences des utilisateurs et leurs comportements, étudier théoriquement et empiriquement les caractéristiques de la plateforme telles que la tarification, la manière dont l’information est présentée aux utilisateurs ou encore les relations contractuelles avec les fournisseurs de trajet.

Dans quelle mesure les solutions digitales pourront-elles assister les voyageurs dans leurs choix afin qu’ils aient accès à un large éventail d’options et qu’ils puissent choisir celle qui leur convient le mieux ? Comment les plateformes peuvent-elles les aider à identifier les options pertinentes parmi le grand nombre de possibilités ? Ce projet représente une opportunité unique de pouvoir explorer ces questions ! Le sujet de la mobilité terrestre sur des trajets moyenne-longue distance est plus que jamais d’actualité, tant l’inflexion de la trajectoire de nos émissions dans le secteur des transports tarde à se matérialiser. Ces travaux permettront de faciliter la mobilité tout en favorisant les moyens de transports faiblement émetteurs de carbone.


(1) Une innovation de rupture est une innovation souvent technologique portant sur un produit ou un service et qui finit par remplacer une technologie dominante sur un marché.

(2) Nicolas Astier, Ram Rajagopal, Frank Wolak (2021), “What kinds of distributed generation technologies defer network expansions ? Evidence from France”, NBER Working Paper 28822

(3) Un poste source est un poste électrique situé à l’interface entre les réseaux de transport et de distribution d’électricité.

(4) Nicolas Astier, Pierre-François Bouquet, Xavier Lambin (2022), “Riding together : eliciting travelers’ preferences for long-distance carpooling”, Working Paper

(5) L’ADEME, lors de son appel à projets « Transports et mobilités durables », a sélectionné le projet « Blablamodes » porté par un consortium composé de Blablacar, PSE, l’ESSEC et l’Université Paris Dauphine-PSL.